Année 2250. Quelque part, un homme se proclame fils d’un dieu. Ailleurs, une femme seule, des paquets à livrer, un courrier, une rencontre. Elle en faisait beaucoup des rencontres cette femme. Et qu’est –ce qu’elle en faisait ? Ca dépendait des fois vraisemblablement.
Moi quand je suis née moins d’un an plus tard, je ne le savais pas encore. J’ai mis pas mal de temps à comprendre d’ailleurs. Après, je me serais bien demandée ce que c’était qu’un père. Mais honnêtement, je n’en ai jamais eu l’occasion. Ma mère s’était bien arrangée pour ça. Elle s’en fichait pas mal de toute manière. « Un accident ça arrive à tout le monde, n’est-ce pas ? ». Ben carrément. Mais je comprends pas, c’est ce que je suis ? Maman ? Tu es déjà repartie ? Ah ben oui.
Normal, les courriers, ils sont pas souvent là, hein. C’est pas leur faute s’ils sont toujours en déplacement.  Cependant, ce que moi j’avais pas compris au début, c’est qu’un jour, les courriers, ils finissaient par pas revenir. Je ne la blâme pas ma mère, au fond. Après tout, elle est comme tout le monde : quand on a un boulet, ben on casse la chaine si on veut s’en aller. Alors elle m’a laissée là, à l’ERGP, au milieu des soldats. Ca a toujours été mon monde. On ne me répondait pas quand je posais des questions, j’ai fini par arrêter. Un lieutenant m’avait prise sous son aile, sûrement parce qu’il était seul lui aussi, l’alpha ; un de ces cadors aux lunettes noires, à l’assurance surdéveloppée, les muscles de la mâchoire proéminants sous ses tempes,  les veines saillantes, le sang plus brûlant que les pluies acides. Il s’appelait Doug. Même son nom était débile. Il avait les yeux verts Doug, derrière ces lunettes sombres, deux vrais bouts de plexiglass collés sur la truffe. Il me faisait penser à une chanson. Un jour, il m’avait donné un yo-yo et m’avait montré comment étrangler quelqu’un avec. Il était drôle Doug.
A mes dix-sept ans, il est mort. En patrouille, une meute d’alpha dans les terres dévastées contre une meute de raiders affamés. La pire mort qui soit. Quel imbécile celui-là. C’est pour ça que j’ai voulu être sniper, pour couvrir les arrières des autres. Observer un être vivant à travers mon viseur, me dire que j’aurai le pouvoir de lui trouer la face. La mort passée en mode furtif. Lors de mes missions de reconnaissance, je rêvais d’avoir l’occasion de le venger, de découper cette bouche qui lui a arraché la trachée.
Puis j’ai grandi, j’ai pas eu le choix. Puis j’ai compris, j’ai pas eu le choix non plus. Alors qu’est-ce qu’on fait, dites-moi, quand on est seule au milieu des soldats parce que votre mère vous a abandonné là ? On devient soldat à son tour. Pourquoi ? Pourquoi ne pas changer de vie et tout recommencer pour ne plus y penser ? Mais parce que les gens comme moi, ils ont la rage, ils ont envie d’avoir le goût du sang sur leurs lèvres. (Accessoirement, ils n’ont pas autre chose.) C’est vrai que dire que c’est pour que ce qui vous est arrivé n’arrive à personne d’autre, c’est bien, mais ça c’est des conneries. On veut juste se venger de la vermine. On le dit pas, c’est politiquement plus correct, c’est tout. Et puis, peu importe au fond, puisqu’on fait son boulot correctement, puisqu’on nous demande pas nos raisons pour le faire mais juste de le faire. Ça s’appelle se mettre au service de la communauté, oui c’est ça.
Alors, je me suis entrainée dure, pendant des années. J’ai appris à être rapide, à être précise dans mes tirs et sournoise au combat, pour parer les attaques des plus forts que moi. Qui peut alors imaginer la honteuse part de fureur quand, durant cette année 2257, on n’eut plus un seul Clown à se mettre sous la dent ? Où était la distraction ?
A partir de là, j’ai eu du mal à écouter les ordres, la discipline me démangeait sérieusement la où je ne pouvais pas la gratter. Mais à force de temps j’appris à être dure malgré tout. Cependant on apprend à apprendre, à se changer, à se transformer –pour le bien de la communauté. Les gens comme moi sont performants, parce qu’ils n’attendent rien, n’aime rien et n’ont rien à perdre.
Maintenant je continue mon chemin, ainsi soit-il. Heureusement, il y a l’armée. La seule famille et la seule maison que j’ai voulu (ou pu) avoir au cours de ma vie et peut importe, désormais je m’en fiche. Un peu rustres ces gars-là vous me direz. Peut-être mais ils ont des super chouettes armes, des gros calibres –enfin, les plus gros que l’on puisse trouver surtout. J’adore sentir sa chaleur après le tir, j’aime être satisfaite de lui bien que ce soit moi qui le contrôle. J’aime sentir sa présence à côté de moi, il me rassure. Oui je parle de mon DKS-501, quoi d’autre ?