« Savais-tu que, à une certain époque, il y avait des arbres florissants, de la verdure à perte de vue et des animaux beaucoup plus petits que cela ? » C’est les yeux éveillés d’une curiosité nouvelle que Kylia prit place à côté du vieil homme. Tout juste âgée de sept ans, elle se trouvait dans un bistro appartenant à ses parents, dans la petite communauté de Clearwater, l’un des membres fondateurs des États Restaurés des Grandes Plaines. Se dandinant un peu sur son siège, elle s’était un peu avancée vers l’avant, attendant avec impatience la suite de l’histoire. « C’est quelque chose qui se passe depuis des générations, dans notre famille. Un peu pour se souvenir que le monde s’est déjà montrer plus engageant. Le ciel était bleu, le soleil brillait haut dans le ciel et l’est était accessible et abondante. » Pour les américains n’ayant jamais connu de misère, ce type de discours n’était pas sans sens. Une expression surprise apparut cependant sur le visage de la demoiselle, ayant conscience que, par moment, son père se voyait rationner l’eau et les vivre. « Il n’y avait aucune goule, aucune abomination » parce qu’au sein de la petite communauté, le racisme était monnaie courante chez beaucoup d’entre eux. Racisme dont avait héritée la petite. « Pour la grande majorité des personnes, il faisait bon y vivre. » « Et des livres, il y avait des livres ? » que demanda la jeune Kylia. Son père ayant commencé à lui apprendre à lire, elle vouait aux ouvrages une grande passion d’enfant trop curieux. « Oh oui. Il y avait beaucoup de bibliothèques où s’étendaient des livres à perte de vue. » La porte du bistro s’ouvrit sur un homme élancé, alors qu’il s’avançait vers la table où se trouvait la jolie brune. « Tu n’es pas encore en train de raconter tout et n’importe quoi à ma fille, hein ? Un moyen pour qu’elle ne cesse de me poser des questions… » Un rire franc s’échappa des lèvres du vieil homme qui discutait avec Kylia. Ayant comprise que ladite conversation était terminée, elle sauta sur ses pieds pour courir vers l’extérieur. « Attention la – » Un bruit sourd se fit entendre alors qu’un léger nuage de poussière s’élevait. « marche. » L’enfant adressa quelques mots à son père avant de poursuivre sa route jusqu’à leur petite maison, où devait très certainement se trouver son jumeau. « Tu devineras jamais Kyle, ce qu’il y avait ici, il y a plus de deux cent ans… » lui annonça-t-elle, entreprenant de lui raconter du début tout ce que le vieil homme venait de lui raconter, des étoiles plein les yeux et un large sourire dessiné sur ses traits fins.

« Et c’est comme ça que l’on est venu à bout des raiders, un peu plus dans le nord. Ce sont des vraies vermines, en fait, ceux-ci. Toujours à vouloir attaquer les villes environnantes. » Kylia, désormais âgée de quinze ans, servait des verres aux clients accoudés au comptoir. Tout en écoutant discrètement d’une oreille attentive les discussions qu’il y avait autour d’elle. Devant elle se trouvait deux militaires, enrôlés pour protéger la petite communauté de Clearwater et, par extension, tous les États appartenant aux États Restaurés des Grandes Plaines. Ce n’était pas les premiers qu’elle voyait et, à chaque fois, elle s’imaginait vêtue d’une tenue de combat, armée d’un sniper – parce que c’est beaucoup plus classe – partir pour protéger les environs, ne revenant à la maison que lors des permissions accordés. Muni d’un linge pour nettoyer le comptoir, c’était une idée qui prenait de plus en plus de place dans son esprit de jeune adolescente. Elle serait, certes, triste de quitter sa famille. Ou enfin, non, de quitter son frère jumeau, Kyle, qui avait toujours été tout pour elle. La porte du bistro s’ouvrit justement sur ledit jumeau. Si pendant longtemps, ils avaient été presque identiques, voilà désormais que plusieurs traits venaient facilités la tâche. Le premier étant les courbes féminines de Kylia qui apparaissaient de plus en plus, tandis que Kyle avait commencé à grandir et donc, pas conséquent, la dépasser il y avait peu de temps. « Il faudrait que de cesse de grandir, ça devient grave. » Un rire franchit ses lèvres alors qu’elle se remettait à la tâche, servant des verres aux quelques hommes accoudés au comptoir. Kyle vint la rejoindre derrière le comptoir. « Dit Kyle, t’en dirais quoi, si je venais qu’à m’enrôler ? » Son avis était toujours des plus importants pour la demoiselle Lewis. Elle fit son geste s’arrêter net. C’était presque compréhensible, compte tenu qu’ils étaient presque toujours ensemble, mais du genre vraiment toujours. Comme les deux jumeaux complémentaires et fusionnels qu’ils étaient depuis déjà des années. « Mais tu sais, je reviendrai, lors des permissions. » « Mais tu pourrais ne jamais en revenir. » Le ton de son jumeau était sans appel. Elle se mordilla la lèvre inférieure, tic que tous les deux avaient depuis bien longtemps déjà, lorsqu’ils se retrouvèrent face à une impasse. « Tu es bien trop défaitiste ! As-tu donc si peu de confiance en moi ? » « Ce n’est pas une question de confiance, Kylia. Je n’ai fait qu’exposer les faits. Combiens de soldats ne sont jamais rentrés, lors de leur permission ? Tu fais ce que tu veux, tu sais que je te supporterai toujours. Mais les faits sont là. » Elle ne se leurrait pas, elle savait que la vie en ce bas monde pouvait être difficile et dangereuse. Un soupire franchit ses lèvres. « Je t’aime, Kyle. » Elle lui offrit un sourire des plus sincères. « Tu vas me manquer. » C’est sur ces paroles qu’elle continue d’essuyer son comptoir.

Les années passèrent. Partagée entre les permissions et son poste de soldate, Kylia ne les avait cependant pas vues défiler. Étant passée de jeune demoiselle vive dont le rêve était de rejoindre l’armée à cette jeune femme déterminée et fonceuse, la demoiselle Lewis pouvait affirmer sans l’once d’un doute qu’elle était fière de celle qu’elle était devenue. Assise sur une table, d’autres soldats autour d’elle, leur commandant vint les rejoindre, plongeant la table dans un silence de plomb. Lorsque le commandant parle, les soldats écoutent. « Nous allons avoir besoin de soldats, de toutes compagnies confondues. Nous voulons occupés l’avant-poste de Denver, au Colorado. Et pour cela, certains d’entre vous pourront se porter volontaire. Il devra aussi y avoir des colons, pour s’occuper des établissements… » « Colons ? Des civils ? » « C’est tout à fait cela, soldat Lewis. J’apprécierais cependant que vous évitiez de me couper la parole. » Ladite soldat Lewis se renfrogna, n’écoutant plus que d’une oreille distraite se qui se déroulait autour d’elle. Ils avaient besoin de colons et de soldats pour prendre l’avant-poste de Denver. Elle allait évidemment être de la partie. Y aller, ce serait ouvrir de nouveaux horizons, de voir encore plus de ce que ces terres avaient à offrir. Tandis que, concernant les colons… Évidemment qu’elle allait proposer cette idée à Kyle. Ils allaient pouvoir être ensemble, comme avant, comme lorsqu’ils seraient jeunes. Les semaines se poursuivirent jusqu’à ce qu’elle puisse rentrer chez elle, à Clearwater. Elle embrassa sa mère, fit une accolade à son père puis sauta littéralement au cou de son frère. « J’ai trop de trucs à te raconter ! Aller, viens ! » Sans même lui demander son avis, elle l’attrapa par le bras pour l’entraîner à sa suite. Malgré sa vingtaine atteinte depuis un bon moment déjà, elle gardait toujours ce caractère flamboyant de lorsqu’elle était enfant. « Tu sais, avec l’armée, ils veulent aller plus loin. Beaucoup plus loin. L’avant-poste de Denver. J’ai mis mon nom parmi les volontaires. » Ce qui voulait dire que, même lors de ses permissions, il lui serait presque impossible de rentrer ici. La distance à parcourir était bien trop grande et, semblerait-il, dangereuse. « Mais ils ont besoin de colons. Des personnes comme toi en fait. » Ses yeux bleus se posèrent sur la silhouette de son frère. Malgré les années, malgré qu’il fût plus grand qu’elle, ils se ressemblaient toujours. Du moins, Kylia en était certaine. « J’aimerais que tu viennes avec moi, en fait. » Parce que l’idée de partir sans son frère lui était impossible. Du moins, partir aussi lui, elle en serait incapable. Elle avait besoin de lui plus que tout. Quel ne fut pas son bonheur lorsqu’il accepta, presque immédiatement. Elle était surtout soulagée de voir que ce sentiment était partagé. Elle lui fit son plus beau sourire, un sourire rayonnant, sincère. « Prépare tes affaires. On part dans les jours à venir. » Ce qui allait cependant être plus difficile, c’était de convaincre leurs parents.

Appuyée sur le comptoir du Lucky Lewis, Kylia soupira, sa tête appuyée dans ses mains. Elle joua distraitement avec une mèche de ses cheveux. Finalement, elle se redressa, regardant autour d’elle. Un homme se leva et marcha en direction de la sortie. « Kyle ! Regarde, regarde, là, là, regarde, là, re – » Elle tenta en vain de lui faire tourner la tête en direction de l’homme qui venait de sortir du bar qu’il avait ouvert, en s’installant à Denver. « Voilà, tu l’as manqué ! Non mais, tu m’écoutes au moins ? » grommela-t-elle à l’intention de son frère qui affichait un petit sourire amusé. C’est qu’il l’avait fait exprès, en plus ! Il devait être habitué au caractère fantasque de sa sœur. Un air vexé se peignant sur ses traits, elle croisa ses bras sur sa poitrine, une moue sur le visage. « T’es pas marrant, tu le sais ça ? » Voilà, elle était vexée. Pour se faire pardonner, son frère fit glisser un verre dans sa direction, passant une main dans ses cheveux. « Ce que je veux entendre, c’est des excuses. » Un rire se fit entendre, toujours de la part de son frère. « Je suis désolé. » « Il manque quelque chose. » Il haussa un sourcil et Kylia le toisa d’un air de défi. « Je suis désolée, ma merveilleuse sœur que j’aime et que j’adore. » Elle le fixa, les sourcils froncés, attendant que de telles paroles franchissent les lèvres de son frère. « Je suis désolé, ma merveilleuse sœur que j’aime et que j’adore. Contente ? Tu n’as rien à faire aujourd’hui, autre que venir m’embêter ? » « Non, aujourd’hui, c’est jour de repos ! » Étant au poste dans la compagnie Delta depuis son arrivée aussi, il lui arrivait souvent de partir, sniper à la main, en reconnaissance dans les environs. Les raiders et les membres de la Légion de César étaient abattus à vu. Elle était tentée de faire de même avec les goules et les mutants, chose qu’elle trouvait complètement abominable, mais elle se gardait bien de le faire. Mieux valait rester professionnelle et ne pas laisser ses vieilles valeurs inculquées par son père prendre le dessus. Surtout pas en mission. « Je n’ai pas le droit que de vouloir passer un peu de temps avec mon frère ? Tu ne m’aimes plus, c’est ça hein ? » Un ton exagérément blessé, trop pour en être sérieux, une mine déconfite grotesque, il était impossible que Kyle y croit, ne serais-ce que quelques instants. L’instant d’après, la demoiselle éclata de rire. « En fait, je me suis dit que tu aimerais peut-être fermer ton bar, aujourd’hui. Il y a des endroits chouettes que j’ai vus, dernièrement. Tu n’aurais pas envie de venir ? » Elle était convaincue que son jumeau allait accepter. Parce que partir à l’aventure, c’était ce qu’ils savaient faire de mieux.