Ajax & Phoebe

• • • • • • • • • • • • • • • • • • •

Exténuée et vannée par cette journée d'observation, je m'adossais sur ce qui devait être une réplique de vaisseau spatial, du moins ce qu'il en restait, car le pauvre n'avait pas fier allure, comme tout le reste en fin de compte. Les vestiges de cette époque révolue trônaient un peu partout dans notre monde, mais leurs histoires s'étaient envolées depuis des lustres.

Je posais mon DKS-501 par terre, à même le sol, mais tout proche de moi, puisque le simple fait qu'il soit loin de ma personne provoquait une sorte de vide, un manque. D'ailleurs en posant mon instrument, je remarquais que le sol sur lequel j'avais posé mes fesses toutes endolories, était différent des sols que j'avais pu côtoyer au cours de ma vie. Il devait être de couleur gris puisque certaines zones qui n'étaient pas trop abimées faisaient ressortir ce colorie. De plus, il y avait des cratères un peu partout. Quel étrange réplique de sol terrestre ? Jamais je n'avais entendu parler d'un terrain ou d'une région dans le coin arborant ses caractéristiques. Peut-être s'agissait-il d'un territoire se trouvant au-delà de ceux de la Légion de César ? Bref, il était inutile que je tergiverse avec moi-même à propos de ce sujet, car quoi qu'il arrive, je n'aurais pas la réponse à mon interrogation.

La fatigue étant accumulée depuis des jours, je poussais un profond et lourd soupir. Je n'avais qu'une hâte que cette mission s'achève pour de bon. L'Avant-Poste de Denver nous avait confié à moi ainsi qu'à Ajax cette mission qui consistait à surveiller plusieurs zones de Dog City. Nous étions à notre troisième aujourd'hui, après avoir fait le Musée de Denver, puis l'Administration de la Défense Civile, on débarqua sur le Plateau de Tournage de Captain Cosmos et demain on repartait pour une nouvelle et dernière destination encore inconnue. L'ERGP aimait bien envoyer les informations au compte-gouttes, la raison de cette lenteur ? Sans doute espérait-il éviter qu'elles ne tombent trop rapidement en de mauvaises mains, je ne voyais que cela, car le binôme que je formais avec Sanders marchait du feu de Dieu. En pensant à tout cela, mon PIP-Boy 2000 s'illumina. Je regardais ce qui était affiché dessus. En voyant les nouvelles données, je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel. « Demain, on doit aller aux alentours du Cinéma Broadway. » Lançais-je à Ajax qui était tout proche de moi.

Voilà, mon partenaire et moi nous savions où nous allions passer le reste de la journée demain. Cela allait-il être une partie de plaisir ? Je n'en avais aucune idée, mais d'après les informations qui avaient été récoltées quelques semaines auparavant, il n'y avait aucune menace physique là-bas. Prions pour qu'ils disent vrai, je ne demandais que cela de les croire ainsi que de leur faire confiance. La destination connue, il fallait prendre des forces.

Le repas allait être très simple, je sortais une boite de Porc aux Haricots pour deux que je lançais à Ajax. J'avais beau être une femme, ce n'était pas moi qui préparais les plats, je laissais cette tâche à mon partenaire préférant le regarder faire. Néanmoins, il y avait une chose que j'effectuais, c'était de décapsuler les bières. Pour cette longue mission, j'en avais pris deux et à mes yeux le moment idéal de les boire était venu, car c'était logiquement notre dernière nuit avant d'attaquer notre dernière journée demain matin. Avec un petit couteau, j'ôtais le couvercle qui permettait de contenir le liquide dans le réceptacle. Sans dire un mot, je buvais ma bière en attendant que le repas soit prêt. Même si cela faisait bientôt une année que le Chat Noir et moi nous étions partenaires, je n'en demeurais pas moins silencieuse avec lui. Le trentenaire devait toujours ouvrir la conversation s'il désirait échanger avec moi.

Le fusil sur l'épaule, Ajax revenait doucement vers la position de sa snipeuse. Ils avaient aujourd'hui parcouru une distance considérable, c'était indéniable et malgré l'endurance de l'observateur, ses jambes commençaient à se raidir, signe d'une fatigue bien plus grande qu'il ne voulait l'admettre. La surveillance était obligatoire pour que Dog City puisse prospérer, elle empêchait les mauvaises surprises qui pouvaient être ainsi déjouées. Elle demandait cependant des missions comme celle-ci, particulièrement éprouvante et d'une durée assez conséquente.

Ajax était prêt, comme chaque fois. Il n'allait pas risquer de sortir sans avoir vérifié réserves, tant munitions que nourriture, ainsi que l'équipement. Il faisait confiance à Phoebe pour qu'elle s'assure du sien, elle lui avait prouvé sa valeur plus d'une fois. L'arme glissait de son épaule tandis qu'il arrivait finalement vers sa camarade. Elle était assise, abritée par l'épave d'une réplique d'un vaisseau spatial. D'après les informations qu'ils avaient du lieu, cela avait servi de studio afin de préparer une série. Qu'est-ce qu'une série, Ajax n'en avait pourtant aucune idée. Il y avait bien des documents d'avant-guerre qu'il avait récupéré qui le mentionnait, mais jamais sans donner le détail.

A quelques mètres à peine de Phoebe, Ajax déposa son arme sur une caisse éventrée, qui avait dû contenir du matériel pour la dite série. Restant debout pour s'étirer un peu, Phoebe lui annonça leur nouvelle destination. Le Cinéma Broadway. « Au moins, on fait demi-tour et on se rapproche de l'Avant-Poste. » se contenta-t-il de répondre d'un ton las, en s'appuyant contre une seconde caisse, qui grincha lorsque le poids de l'homme se transféra lors de son appui. Le Cinéma avait déjà été exploré quelques semaines auparavant par une autre unité qui n'avait à l'époque rien relevée de suspect. Quelques semaines, une éternité au sein des Terres Désolées si la question était posée à Ajax, aussi proche puissent-elles être de l'Avant-Poste de l'ERGP, il est impossible de couvrir autant de terrain sans qu'il y ait forcément des zones d'ombre.

L'homme se releva afin de s'afférer à la tâche qu'il avait acceptée d'accomplir depuis que la jeune femme l'avait remis à sa place, c'est-à-dire préparer les repas. Il n'aimait guère ça, mais cela l'occupait et lui permettait de souffler un peu. La boîte de Porc aux Haricots lui atterris directement dans les mains et il se mit en quête d'une carcasse de voiture afin de dissimuler les rougeoiements du réchaud qui allait servir à chauffer un minimum la nourriture. Ajax avait pris l'habitude de ne pas faire de feu depuis des années déjà. Cependant, dans cette zone, il ne semblait n'y avoir que d'étranges vaisseaux et des cratères faisant, d'une manière très vague, penser à la Lune. S'approchant d'un de ces vaisseaux, il le poussa et remarqua qu'ils n'étaient pas faits de métal, mais de plastique. Grognant, il laissa tomber l'idée de se placer à l'intérieur et allait devoir faire réchauffer cela en extérieur, tant pis pour la discrétion, ils étaient suffisamment couverts pour qu'aucune espèce des environ ne les voient.

S'installant, pour de bon, face à sa camarade afin de voir dans les angles morts de Phoebe, il déposa le réchaud à côté de lui, tandis qu'il se saisissait d'une bière, remerciant d'un signe de tête la soldat. Avalant lentement le breuvage, il gardait en vue la nourriture, qui serait prête d'ici quelques minutes, ainsi sur les environs. On n'est jamais trop sur ses gardes. Malgré les apparences et la formidable symbiose que les deux compagnons pouvaient avoir lors des missions, ceux-ci restaient souvent silencieux. Peut-être à cause du tempérament froid de la jeune femme. Peut-être aussi pour le manque de courtoisie et de savoir-vivre dont avait fait preuve Ajax lors de leur première mission.

«J'espère qu'ils ne vont pas nous faire repartir vers une autre zone après celle de demain. On n'a pas usé tant de munition que ça, mais niveau provision, ça risque d'être juste. » Lança-t-il à Phoebe, toujours muette. Elle n'éprouvait peut-être pas le besoin de parler, mais après avoir voyagé toute son enfance avec des marchands, Ajax n'arrivait pas à se taire bien longtemps.

Mon partenaire avait raison, en allant au Cinéma Broadway on se rapprochait de l'Avant-Poste, ce qui pouvait signifier la fin de notre mission. J'espérais qu'il dise vrai, car la fatigue se faisait ressentir maintenant. Je pris une gorgée de bière, me rafraichissant le gosier, ce dernier en avait besoin puisqu'il était sec. Toute une journée sans boire, cela laissait des traces, mais il fallait faire avec. Quand on mettait les pieds dehors, ce n'était pas pour une partie de plaisir, les conditions étaient rudes ainsi qu'exigeantes, il fallait être fort physiquement, mais aussi mentalement. Le mental jouait pour beaucoup dans nos tâches.

Ajax installait la boite de Porc aux Haricots sur le réchaud qu'il avait sorti de son sac. Même si sur l'étiquette, le plat ne faisait pas savourer, c'était mieux que rien et mon ventre criait famine, il pouvait ingurgiter n'importe quoi, du moment que cela était cuit et chaud. Fidèle à moi-même, je ne disais rien, j'attendais que le met soit prêt, prenant de temps en temps des lampées de bière. Si j'aimais tant la bibine que ça, je le devais principalement à mon père, voulant lui montrer que je n'étais pas une princesse, je n'hésitais pas à boire les mêmes breuvages que les hommes, et cela passait inévitablement par la bière, boisson numéro un chez ces derniers.
Je me souvenais de la première fois que je trempais mes lèvres dans cette boisson, j'avais trouvé cela amer et peu agréable en bouche. Mais je devais me faire violence, et après plusieurs dizaines d'essais, je m'étais habituée au goût en bouche. Maintenant, je buvais cela comme du petit lait, même si je faisais tout de même attention à ma consommation, car il ne faudrait pas que je sois trop ivre sinon je ne pourrais plus tenir correctement mon DKS-501.

Face à mon mutisme volontaire, mon partenaire ouvrit la conversation - comme à son habitude. Même si je ne regardais pas dans le blanc des yeux l'homme qui se trouvait devant moi - mon regard fixait ses bottes - mes oreilles étaient toutes attentives. Ajax espérait que le cinéma serait notre dernière destination, car même si nous avions gâché peu de minutions et qu'ils nous en restaient un bon nombre, ce n'était pas le cas des provisions qui s'étaient considérablement amoindri depuis notre départ de l'Avant-Poste de Denver. « Effectivement, cela risque d'être embêtant. Je n'ai pas trop envie de manger du chien errant demain soir. » Non pas que cela était ragoutant, la viande restait de la viande et en cette période compliquée il ne fallait pas jouer les fines bouches, mais tant qu'à faire, je préférais manger quelque chose de préparer dans l'une des cantines de l'ERGP.

La cuisson étant terminée, on pouvait passer à table. Chacun notre gamelle, on partagea équitablement la conserve. L'odeur du porc et des haricots se trouvait alléchante à m'en lécher les babines. J'enlevais mes deux gants pour pouvoir manger directement avec les doigts. Il n'y avait pas besoin de faire des manières avec Ajax puisqu'il savait que je n'avais rien d'une femme ordinaire. Un morceau de porc bien juteux dans les doigts, je croquais fermement dans la chair. La sauce dégoulinait jusqu'au creux de ma main, et pour ne pas perdre cette dernière, je n'hésitais pas à mettre un coup de langue par-dessus. « Bonne ap' ! » Disais-je à mon coéquipier me rendant compte que je ne l'avais pas dit plus tôt. Une fois ces mots prononcés, je continuais de manger, alternant porc et haricots et léchage de doigts ainsi que de paumes. Même la gamelle y passera, car j'avais l'habitude de ne jamais rien gâcher au niveau de la nourriture.


Je suis vraiment navrée du retard de ma réponse.

Ajax émit un léger rire à la remarque de Phoebe, probablement dû à un stress cumulé à la fatigue de ces derniers jours. Rien de moins bon que de manger du chien errant, sans compter sur la quantité de radiation que ces bestioles comportaient. Certes, le Chat Noir avait déjà eu l’occasion d’en manger, lors de situations extrêmes, des souvenirs qui ne lui apportait qu’amertume et mécontentement. Chassant ses idées en buvant une gorgée de sa bière, il remua une dernière fois la converse de nourriture avant de la partager entre les deux gamelles de fortune que chacun possédait.

Le porc n’avait aucun gout particulier, si ce n’est celui de ne pas être dégoutant, ce qui représente un réel exploit par les temps qui court. La manière que la sniper a pour manger fait toujours sourire l’observateur. L’expression « ne pas porter de gant » est probablement celle qui colle le mieux à la situation. Plus réservé, cependant, Ajax préfère utiliser une de ces grosses cuillères en inox que l’on retrouve parfois. La sienne lui vient d’un enfant qu’il avait sauvé d’une attaque raider.

- Pareillement. Répond-il avec une certaine joie à Phoebe. Le meilleur moment de la journée, quand les jambes peuvent enfin se reposer et que malgré la menace que constitue l’obscurité, ils peuvent savourer un temps de repos. La nuit sera elle aussi éreintante, ne jamais baisser sa garde lorsque l’on parcourt les Terres Désolées, vous n’avez pas envie de finir broyé par un Yao Guai ou dévorer par des raiders cannibales.

Les haricots et le porc filent à une vitesse folle et bien qu’il ait fini son plat, l’estomac se contracte et gargouille. T’inquiètes pas, mon vieux, pense-t-il, c’est bientôt fini. Une habitude qu’il a prise, de se parler à lui-même. Nettoyant son assiette et sa cuillère avant de la remettre dans son sac, il jette un œil à Phoebe. Elle aussi termine son repas, toujours de la même manière : En léchant avec méthode la gamelle afin qu’il ne reste plus aucune trace. Laissant terminer la jeune femme tranquillement, Ajax boit la dernière gorgée de sa bière, baladant son regard dans la nuit échappant son manteau noir sur la plaine.

Soupirant de fatigue, le Chat Noir vérifie que le réchaud est bien refroidi avant de le replacer, ainsi que la bouteille de bière vide, dans le sac. Malgré l’état pitoyable du monde, il ne laisse pas ce déchet trainer, car il pourra resservir dès qu’il l’aura ramené au bar. Il est déjà passé sur cet endroit à de nombreuses reprises, nommé sur les cartes « lieu de tournage de Captain Cosmos. ». Un nom ridicule, si vous écoutez cet homme blasé d’Ajax Sanders. N’ayant jamais posé la question, il rompt le silence installé sur le campement d’une question pour le moins stupide, mais importante pour le profane qu’est l’observateur.

- Tu ne saurais pas ce que c’est qu’une série, toi ?

Il n’y a guère de chose qu’Ajax se refuse de dire à Phoebe, que ce soit un commentaire qui aidera l’équipe à fonctionner à ce genre de curiosité envers un monde disparu. S’il n’a aucune raison, cela ne lui changera rien, mais qu’elle lui parle avant que l’un ou l’autre ne finisse par tomber de fatigue, laissant le dernier dans l’obscurité, en quête du moindre bruit suspect.