PARTIE 1
Brent Fairshield ne voulait plus vivre. Voilà deux jours qu'il avait perdu les deux êtres qui comptaient plus que tout au monde pour lui : sa femme et son enfant à naître. Kaylee était morte d'épuisement sur son lit pendant l'accouchement, sans parvenir à délivrer son bébé à temps. Son mari avait été impuissant, seul spectateur de cette funèbre scène. Il était immédiatement allé enterrer ce qui aurait pu être sa descendante mais n'avait pas pu se résoudre à en faire de même avec sa femme. Le premier jour, il était resté allongé sur leur lit défait à coté de son cadavre. C'était étonnant de voir comme la mort avait donné un air paisible à son visage alors qu'au moment où elle avait poussé son dernier souffle, elle semblait encore souffrir le martyr. A l'aube du deuxième jour, il était sorti de chez lui et avait marché sans but dans les rues de Oz. Son fusil de précision sur l'épaule, il n'avait dit à personne où il allait. Il n'était pas en service de toutes façons : l'armée n'avait pas constamment besoin de savoir où il se trouvait. Il avait eu un congé en prévision de l'accouchement de sa femme. Il ne pouvait pas s'imaginer retourner sur la base pour annoncer à ses camarades et à sa hiérarchie qu'elle était morte. Son observateur, qui était aussi son meilleur ami, avait déjà acheté un cadeau à son bébé. C'était tellement triste. Son travail à la tête de la section Delta du 2ème Bataillon de l'armée fédérale basée à Oz n'était pas de tout repos. Il avait naïvement pensé qu'avoir une famille lui permettrait de se reposer l'esprit des horreurs qu'il combattait toute la journée =. Il avait bâti ses espoirs là-dessus et maintenant qu'ils venaient de s'écrouler, il ne savait plus où il en était. S'il ne pouvait pas avoir ça, il n'avait envie de rien d'autre. Son errance le mena aux abors d'un petit lac à l'eau extrêmement trouble. Presque noir en fait. Une silhouette était penchée vers lui et semblait en train d'immerger quelque chose. Brent ne se serait pas arrêté s'il n'avait pas entendu le son qu'il avait tant espéré entendre lors de l'accouchement de sa femme : des pleurs de bébé. Son cœur bondit dans sa poitrine. « Hey mais qu'est-ce que vous faîtes ?! » Il se dirigeait vers la silhouette quand il la vit s'activer. Les pleurs s'étouffèrent. « Lâchez ça ! » Brent courrait à présent. Quand il fut assez près, il vit qu'il s'agissait d'une femme mal fagotée qui s'escrimait avec un paquet refusant de couler. Les cris s'étaient tus. Le militaire épaula son fusil et la mit en joue. « Major Fairshield, armée fédérale. Remettez immédiatement cette chose sur la terre ferme ou je vous descends. C'est pigé ? » Il fut obéi et s'approcha rapidement du paquet de linge mouillé. Il le déballa. « Mais... c'est un bébé. » Par miracle, le minuscule corps respirait encore. Brent attrapa la femme par le col de son vêtement pour lui hurler dessus : « Bon sang, mais à quoi vous pensiez ?! » « Hey oh, de quoi j'm'occupe d'abord ? C'est mon p'tit. J'en fais c'que j'veux. Croyez-moi, mon bon major, il serait mieux là où il allait qu'ici avec moi. » L'enfant commença à sangloter d'une manière étrange, doucement et d'une voix à peine audible, comme s'il avait peur de gêner leur conversation. Brent replaça son fusil dans son dos et le prit dans ses bras pour le blottir contre lui. Il était glacé. Il se débarrassa alors de sa veste pour abandonner le linge mouillé et l'emmitoufla dedans. C'était un petit garçon. Il avait l'air tellement fragile. « Oh hey ! Où vous croyez aller comme ça ? Personne ne m'a jamais rien pris sans payer » protesta la femme quand elle le vit commencer à faire demi-tour. Brent s'arrêta. « Vous êtes une prostituée d'Oz, n'est-ce pas ? Vous ne vouliez pas de cet enfant. Alors qu'est-ce que ça peut vous faire que je le prenne ? » La femme se releva. « Ouais, je suis une prostituée, monsieur le super-militaire. Mais j'ai aussi un nom. C'est Maggie Graystone. Et si vous voulez que ce petit porte le vôtre, il va falloir y mettre le prix. »
Quand Brent rentra dans ses quartiers avec le bébé enveloppé dans sa veste plus tard dans l'après-midi, il alla enfin annoncer au médecin de la base que sa femme était morte. Son interlocuteur accueillit l'enfant qui était sensé avoir survécu avec scepticisme. Kaylee était supposée attendre une fille. Cependant, - et il le regrettera jusqu'à la fin de sa vie qui devrait s'achever quelques années plus tard – il ne demanda jamais au Major d'où venait ce bébé providentiel. Le militaire semblait avoir déjà trop souffert et l'ERGP lui devait trop de choses pour le priver d'un peu de bonheur. Il enregistra donc l'enfant sous le nom de 'Mallory Fairshield' et il se tut. Quant au marché qu'avait passé Brent et Maggie, nul n'en connaît les termes exacts...

PARTIE 2
« Tu vois ce moulin à vent, mon fils ? C'était le symbole du pays où notre famille prenait racine, il y a presque trois siècles. La Hollande, une province des Pays-Bas. Bien sûr, ils n'existent plus aujourd'hui. » Mallory, alors seulement un petit garçon, considéra curieusement la figurine de papier plié que venait de lui confier son père. A son avis, ça ressemblait davantage à une fleur. « La rapidité avec laquelle tournent les hélices dépend de la force du vent. » Pour illustrer son propos, il souffla dessus et les pales se mirent effectivement à tourner. L'enfant fronça les sourcils. Il ne lui avait jamais rien appris qui ne puisse lui servir un jour alors pourquoi lui parler maintenant d'une chose à l'apparence si inutile ? Brent Fairshield peignit un point d'une couleur différente sur chacune des hélices du moulin avant de le glisser dans le goulot d'une bouteille vide et de poser le tout en évidence sur un rocher. A présent à découvert, les pales se mirent à tourner toutes seules, d'abord lentement puis elles prirent de la vitesse. Ils s'écartèrent d'une cinquantaine de mètres, jusqu'à l'endroit où Brent avait laisser son fusil de précision. D'un mouvement terriblement naturel, il l'épaula et ferma un œil. « Choisis une des quatre couleurs peintes sur le moulin, Mal'. » « Vert. » Un court silence s'en suivit et l'enfant vit du coin de l'oeil que son père venait d'appuyer sur la gâchette de son arme. Au loin, le moulin n'avait même pas frémi. Brent désengagea son fusil et désigna sa cible d'un geste du menton. Incertain de ce qu'il voulait lui dire, Mallory alla tout de même voir le moulin à vent de plus près. Les hélices tournaient toujours. L'un d'elles portait un point rouge, une autre un point bleu et une autre encore un point jaune. La quatrième avait été transpercée en son centre mais le petit garçon se souvenait encore bien qu'elle avait porté un point vert. Celui qu'il avait choisi. Sa mâchoire se décrocha et il se retourna vers son père au moment où il chargeait une nouvelle cartouche à blanc. Brent perdit son air concentré pour un éclat de rire en voyant la surprise sur le visage de son fils. Il posa ses genoux à terre devant lui et plaça une main lourde sur son épaule gauche.

PARTIE 3
« On se replie ! On se replie ! Équipe 4, dégagez de là ! Équipe 2, assurez les arrières ! Équipe 3, ...vous êtes où, bordel ? On a perdu la 5 ! Go, go, go ! Dégagez de ce merdier ! » Ça tirait de tous les cotés. La section Delta de l'armée fédérale était en déroute. Il était maintenant manifeste maintenant qu'il n'y avait jamais eu de technologie à récupérer dans cet entrepôt. Le cri d'agonie de son observateur couvrit momentanément les instructions de son chef et Mallory n'eut que le temps de plonger sur le coté pour éviter un tir qui lui était destiné. Quel enfer ! On visait les militaires au sol depuis les passerelles supérieures. C'était presque trop facile pour leurs ennemis. « Équipe 6, vous en êtes où ? » Mallory préféra ne pas répondre tout de suite pour concerner sa discrétion. Il vérifia furtivement les positions de leurs opposants et se hissa à la force de ses bras sur la passerelle la plus haute sans être repéré. Il rampa sans bruit dessus jusqu'à une extrémité. A plat ventre, il mit un à un des ennemis en joue et aligna les headshots sans ciller, offrant ainsi à ses camarades la possibilité de se replier pour sortir de l'entrepôt. Il s'assura qu'il ne restait plus personne de se section de vivant avant d'enfoncer une lucarne avec la crosse de son arme. Au moment où il se hissa dehors, une balle pénétra son épaule gauche, lui faisant lâcher un juron. L'adrénaline suffit à lui faire terminer son ascension et il se laissa ensuite rouler le long de la toiture, pour atterrir au bord de la gouttière. Il s'y pendit et se balança jusqu'à avoir assez de mouvement pour s'élancer vers le garde-corps de l'escalier en colimaçon que le vent faisant grincer le long du mur. Son épaule le tuait. Il rata son objectif et se ramassa sur le palier d'en dessus, s'explosant en même temps le genou contre le fer rouillé qui ne broncha même pas. Il se remit debout non sans mal et continua à descendre l'escalier en clopinant à moitié avant de disparaître dans le paysage pour rallier le point de rencontre déterminé par son chef au début de la mission.
Le lieutenant-colonel Brent Fairshield fit irruption dans le dispensaire en courant. On venait de lui annoncer que l'unité de son fils était de retour de mission et qu'il y avait eu du grabuge. En voyant l'air paniqué sur le visage de l'officier, un médecin crut bon de le rassurer tout de suite. « L'adjudant s'en sortira, mon colonel. Son équipe est tombée dans un piège. La plupart n'ont pas été aussi chanceux que lui. » Brent hocha la tête pour le remercier et se fit indiquer le lit sur lequel reposa son unique fils. Un autre militaire était à son chevet. Il reconnut le Major Grant, commandant de l'unité, qui était un observateur hors-pair disait-on. A l'arrivée du père, il se leva et le salua selon les coutumes de l'armée. « Amsterdam a été très courageux, mon colonel. C'est grâce à lui si certains d'entre nous sont encore en vie. Quand il sera de nouveau sur pied, je lui demanderai d'être mon sniper. Vous pouvez être fier de lui. » Être le binôme du chef était une distinction noble. Brent avait été celui du sien il y a quelques années, avant de devenir lui-même le chef. C'était une grande marque de confiance. Lorsqu'il fut seul avec son garçon, il s'assit près du lit et souffla : « Est-ce que tu es réveillé, Mal ? » Ce dernier ouvrit les yeux. « Oui. J'en avais juste marre que les infirmiers me demandent sans arrêt si j'avais mal quelque part. Qu'est-ce qu'ils croient ? Je me suis fais tirer dessus. C'est pas exactement une partie de plaisir. » Il essaya de bouger mais la douleur lui fit serrer les dents et il abandonna l'idée. Il soupira. « C'était un piège. » « Oui, c'est ce qu'on m'a dit. » « Je n'arrive pas à croire que tant de mes camarades soient morts pour rien. Pour rien du tout. » « N'y pense plus, Mal'. Les regrets ne les feront pas revenir. Le Major Grant a dit que tu les avais sauvé. » Déjà à cet âge-là, Mallory n'aimait pas qu'on le complimente. Il tourna la tête de l'autre coté. « Bah... ce n'était rien. J'ai juste été le plus rapide. » Brent hocha la tête. « Être le plus rapide, être le plus précis, c'est ça le métier de tireur d'élite, mon garçon. » Il eut un silence. Ils se comprenaient. Puis, sur un ton moins grave presque amusé, le père demanda : « Amsterdam ? » Les lèvres du jeune homme sourirent légèrement. « Ouais, les gars m'ont surnommé comme ça. A cause desmoulins à vent sur lesquels je m'entraîne. Comme tu me l'as montré. » Nouveau silence. « Je suis fier de toi, mon fils. Allez, repose-toi. Reprend des forces. L'ERGP aura bientôt de nouveau besoin de ses héros. »

PARTIE 4
« Major Fairshield, entrez et asseyez-vous. » Mallory s'exécuta avec toute la raideur dont il était capable. Le colonel n'était pas homme a organisé des entrevues pour prendre le thé. Quoi qu'il ait à lui dire, c'était sans aucune doute très important. Pourtant, il commença d'abord par les trivialités. « Alors, fiston, comment gérez-vous la mort de votre père ? » Mal' resta impassible. « Comme il m'a appris à la faire, mon colonel. En silence. » L'homme d'âge mûr alla s'asseoir derrière son bureau et posa les coudes dessus pour joindre les mains sous son menton. « Je vois ça. Il t'a appris bien plus que le boulot pour lequel l'armée t'emploie. Brent était un excellent élément pour le bataillon mais également un ami personnel. Je sais qu'il était très fier de toi. » Le jeune homme demeura silencieux. Il avait l'habitude d'entendre le colonel le tutoyer. Le général faisait la même chose. Tous les gradés connaissaient bien son père et ils avaient eu du respect pour lui. Quand il était mort il y a quelques mois en défendant son unité, ils étaient tous venus lui présenter ses condoléances. Quelque part, ils le voyaient tous comme un petit-fils. Cette considération avait valu à Mallory quelque jalousie dans les rangs de l'armée. A chaque fois qu'il avait été décoré ou qu'il avait monté en grade, on l'avait à demi mot accusé d'être le chouchou des officiers. Pourtant, aucun jaloux ne l'avait jamais accusé de ne pas le mériter. Ses camarades savaient de quoi il était capable sur le terrain. Ils ne pouvaient pas lui enlever les qualités formidables dont il faisait preuve. Le colonel le sortit de sa rêverie. « Nous allons envoyer un bataillon en reconnaissance vers l'Ouest. Dans le Colorado. Ça vient d'être décidé par nos dirigeants il y a quelques heures et tu es le premier à qui je l'apprends. Je te dis ça parce que j'aimerais que tu prennes la tête de la nouvelle section Delta qui sera créée pour y aller. En tant que capitaine. » Il lui offrit une cigarette que le jeune officier accepta et alluma avec une lenteur dévolue. Il était toujours partant pour une nouvelle mission. Certains civils méprisaient les militaires en les traitant de zombis à la charge du gouvernement. On leur jetait des missions comme des os aux chiens. S'ils les réussissaient, on leur donnait un gâteau. S'ils échouaient, on les remplaçait. C'était aussi simple que ça. Dans la vie civile, Mallory n'avait pas un caractère conciliant. Il avait ses propres opinions et connaissait différents moyens de les faire entendre. Cependant, lorsqu'il était en service, il savait s'effacer pour obéir aux ordres. Son expérience lui avait appris que c'était le meilleur moyen d'être efficace. Les questions, on les posait après. Mieux valait avoir des remords pour quelque chose que l'on a fait plutôt que pour quelque chose que l'on a pas fait. « Votre confiance m'honore, Colonel. Où que vous vouliez m'envoyer, j'irai. » L'officier eut un petit rire. « Je n'en attendais pas moins de ta part, Amsterdam. »
« Bon, va y allez, les gars ! Je rappelle le plan : on s'infiltre dans leur planque. Deux équipes au sol et deux sur le toit. Vous m'abattez tous ceux qui se tiennent entre nous et l'objectif et qui tiennent un fusil, une grenade ou n'importe quoi susceptible de faire bobo. On récupère le joujou des scientifiques et on le rapporte à la base. On reste en mouvement. On est silencieux et précis. One shot... » « … ONE KILL ! » répondirent en choeur les hommes et les femmes sous ses ordres en finissant de sangler leurs gilets tactiques. Mallory hocha la tête. Il estimait chacune des personnes qui travaillait sous ses ordres. On l'avait laissé choisir les éléments qui étaient venus avec lui depuis le Kansas. Il n'avait pris que les meilleurs et la qualité de l'équipe s'en ressentait. « Amsterdam ? … Euh, je veux dire, Capitaine Fairshield ? » Mallory se tourna vers son observateur, un jeune sergent-chef raide comme la justice. Bien que ce soit le moins discipliné de son unité et que c'était pour cette raison qu'il l'avait pris comme co-équipier. Il ne voulait pas que sa témérité mette en danger quelqu'un d'autre que lui. Il était comme ça Mal. « Yep. C'est parti ! »