Assis contre le muret, Ajax avait déposé son fusil et croisé les bras sur son torse, se reposant de la garde qui durait depuis bientôt seize heures. S’il n’était pas parti en mission, c’est que cela était son tour d’être de garde, ou l’emploi le plus pénible quand l’on est un observateur. Poster au même endroit, des heures durant, sous le soleil de plomb du désert. En général, il y avait toujours un incident quelconque, un rien qui changeait du calme plat et désertique des environs, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, les raideurs avaient décidé de tuer les surveillants d’ennui.

« - Alors, toujours en vie, la Sterton ? » questionnait l’un des troufions présent avec le Chat Noir. Ne relevant même pas la tête, préférant ramener un genou afin d’y poser son coude, Ajax ignora la remarque, voulu désagréable, du soldat. « Alors ? Elle est où la nouvelle ? » Insista-t-il en balayant de son pied la jambe de l’observateur qui le dévisagea d’un regard noir.

« - Occupe-toi de ton cul, soldat. » répliqua Ajax, se relevant et attrapant son arme. S’écartant du misérable qui cherchait des problèmes, il s’approcha d’un autre, avec qui il n’y avait aucun mal entendu concernant la macabre réputation. « Dis-moi qu’il y a quelque chose à l’horizon… » Demanda-t-il avant d’être interrompu par des bruits de tir juste derrière une colline toute proche. Passant la zone sous les jumelles, il ne parvint cependant pas à trouver l’origine des tirs.

« - On attendait pas une caravane aujourd’hui ?» demanda l’un des troufions. « J’en sais rien » répondu un autre avant que le sergent présent sur place ne décide que plusieurs d’entre eux allaient y aller, dont Ajax, dont les capacités d’observateur allaient être utile. Partant sans demander leur reste, les hommes coupèrent par les roches de la colline. Une fois l’un d’entre eux placé en position de tir de précision en haut de la colline, Ajax et les deux restants partirent en direction de ce qui semblait bien être une caravane. Plaçant son arme en joue, le trentenaire avança à pas feutré à travers les hautes herbes. Indiquant les cibles au tireur et aux deux autres, ils attaquèrent les quelques raideurs qui trainaient encore parmi les cadavres. Ils n’étaient que quatre ou cinq et au vu des dégâts, ils avaient dû être beaucoup plus, ne laissant aucune chance aux caravaniers. « Putain. » Lâcha Ajax en se relevant. « Cherchez ceux qui peuvent être sauvé, et ce qui être ramené avant que ces connards ne reviennent. » Acquiesçant, ils partirent dans trois directions différentes.

Quelque chose bougea un peu en retrait par rapport à la caravane. Relevant son fusil, le soldat de l’ERGP avança doucement dans la direction voulue. Il se pouvait qu’un raideur est survécu et il ne devait en aucun cas s’enfuir, les coups de feu n’avaient pas forcément attiré l’attention du reste des attaquants, croyant peut être qu’ils fusillaient des survivants. Mais il n’en fut rien. Une tignasse rousse bougea, attirant le regard d’Ajax. Ces vêtements n’étaient pas ceux d’un raider. Se rapprochant encore, l’observateur plaça son fusil sur son épaule.

« - Calme toi, mon garçon, c’est l’ERGP, tu crains plus rien. » dit-il en posant sa main sur l’épaule du caravanier, visiblement blessé au vue du sang répandu par terre. « Je peux te soigner si tu te retournes. ». Le fait de vivre au jour le jour dans les terres désolées du Mojave avait des bons et des moins bons côtés. Si Ajax n’avait pas le savoir-vivre de certains de ses camarades, il avait par contre développé des talents de médecin alors que d’autres n’avaient même pas les bases. « Tu pourras également me dire ce qu’il s’est passé ici ? »

« Calme toi, mon garçon, c’est l’ERGP, tu crains plus rien. »

Mes yeux s'ouvrirent à nouveau. Est-ce que je pouvais faire confiance à l'homme qui venait de me rejoindre ? Mais est-ce que j'avais le choix ? Alors qu'il posait sa main sur mon épaule, je pris une grande inspiration. Dans un grognement, je me retournai, lentement. Ma main droite était toujours plaquée sur ma blessure, essayant de retenir le flot d'hémoglobines qui en coulait. Mon regard s'accrocha à l'homme baissé à côté de moi, et fila vers d'autres hommes qui fouillaient les environs. Ils n'avaient pas l'air de raiders. Difficilement, je souris à cet inconnu qui, puisque nous étions aux portes de l'avant-poste de l'ERGP et qu'il le disait, devait en faire partie. Au point où j'en étais, je n'avais plus qu'à m'en remettre à lui.

J'avais le souffle court mais j'essayais quand même de lui raconter ce qui s'est passé. Ma tête tournait de plus en plus alors je tentais de me fixer sur ses yeux. Même s'il disait qu'il pouvait me soigner, j'avais peur. Peur de mourir là, allongé dans le sable. Pourtant je commençai mon récit. Notre départ plus tôt que prévu, contré par le brahmine qui avait refusé de bouger pendant un long moment. L'attaque des raiders aussi. C'était quand même hallucinant, le nombre de gardes que nous avions et la façon dont ils nous étaient tombé dessus. Je ne comprenais toujours pas comment on ne les avait pas entendu. Mon cœur battait fort. J'espèrais vraiment que les autres s'en étaient tirés. Surtout Léopold et Raven. J'angoissais terriblement. En m'agrippant à l'homme à côté de moi, j'essayai de me redresser, j'essayai de voir.

« Et les autres ? Vous avez vu les autres ? »

Je me mis à tousser. Je savais bien que ce n'était qu'une impression mais je n'arrivais plus à respirer. Et plus j'y pensais, pire c'était. Chaque contraction de mon abdomen donnait une pulsation au sang qui s'échappait de mon corps. J'avais l'impression que j'aurais pu redessiner la balle logée à l'intérieur tellement je la sentais. Mes mains tremblaient alors que je m'accrochais de plus en plus au brun. Je devais être ridicule. A côté de cet homme qui avait du en voir des vertes et des pas mûres, j'étais une belle lavette. Pour qu'il puisse accéder à la plaie, j'enlevai doucement ma main. Je vis la teinte rouge qu'elle avait prise et n'osai donc pas regarder mon propre corps. Un nouveau coup de feu se fit entendre, ajoutant à mon anxiété. Je lançai un regard interrogateur au brun. Est-ce qu'on abattait encore un de mes compagnons ? Brusquement, je m'assis. Il fallait absolument que je retrouver les autres. Il fallait qu'il m'aide, lui, à les trouver. Je ne pouvais pas rester à me tortiller sur le sol alors que je ne savais pas s'ils étaient encore en vie. J'avais été peut-être un peu trop brutal, parce que mes vertiges me prirent de plus belle. Ma vue était à présent trouble et les bruits que je percevais avaient l'air de venir de bien trop loin pour être réalistes. Dans un papillonnement de cils, je retombai, le dos contre le sable.

Le gamin pissait le sang, Ajax plaça ses mains par-dessus celle du blessé afin d’augmenter la pression exercée sur la plaie. Il lui expliqua ce qui s’était passé ici. La pause soudaine de la brahmine et l’attaque des raiders. Cela parut d’abord étrange pour Sanders, pourquoi les Raiders se risqueraient à attaquer si proche de l’avant-poste ? Si cette question trottait dans l’esprit de l’observateur, il avait une mission plus urgente. S’il ne parvenait à stopper le saignement, le garçon y passerait, dans d’atroces souffrances et en mettant beaucoup de temps, mais il y passerait.
Gardant une main sur la plaie, il fouilla la poche de sa veste. Il ne gardait quasiment aucun équipement sur lui hormis lorsqu’il était de garde. Une chance pour le blessé, il y avait un dernier rouleau de bande trainant là depuis la dernière mission d’exploration du soldat. La balle ne devait pas être ressorti, Ajax n’ayant vu aucune plaie dans le dos du jeune homme lorsqu’il était arrivé à sa hauteur.

- Et les autres ? Vous avez vu les autres ?

Le gamin toussait et tremblait tout en s’accrochant à lui. Je le laissais retirer ses mains, voyant enfin la plaie. Il s’est pris un beau pruneau, pensa le soldat. Il devait retirer la balle avant de pouvoir mettre le pansement, mais cela allait être difficile ici, sans matériel médical d’aucune sorte et avec les spasmes qui agite le corps frêle du môme.

- Ecoute, les autres, c’est pas le plus urgent. Je dois d’abord te…

Ajax ne put finir sa phrase, un coup de feu éclatant près d’eux. Se relevant d’un coup, le jeune homme surpris le soldat. Grommelant, il bascula à terre, couvrant le blessé de son corps et cherchant son arme à tâtons, posée au sol pour s’occuper de la victime. Quel idiot se relevait alors que des tirs fusaient autour d’eux. Surement le genre d’idiot qui demande comment vont les autres alors qu’il se vide de son sang par l’estomac.

Heureusement pour eux, le jeune n’était pas resté avec les autres de sa caravane, ils étaient donc isolés de l’échauffourée qui prenait place à quelques mètres d’eux. Se dégageant du corps du blessé, il ramassa finalement son fusil, qu’il mit en joue d’une main et tira le garçon, comme il le pu, dans la direction opposée de laquelle venais les tirs. C’était une journée qui avait trop bien commencé.

Les choses ne se déroulèrent pas comme Sanders l’avait prévu. Alors qu’il comptait mettre le marchant à l’abri dans des herbes hautes à deux pas d’eux, un raider tourna la tête et les vit. Il eut le temps de braquer son arme en braillant avant que la rafale de .308 winchester tiré par Ajax ne lui fasse regretter cette action. Évidemment, un raider qui braille alors qu’il est entouré par d’autres raiders, cela ne fait pas forcément plaisir. En léger contre-bas par rapport à l’action de ses camarades de l’ERGP, et en partie caché par la caravane, le trentenaire à tout juste le temps de balancer le jeune homme derrière une pierre au bord de la route en ruine et de s’y glisser avant que les balles ne viennent ricocher sur le roc.

- Putain, vous trimballez quoi comme marchandises pour les attirer comme ça ? Brailla le Chat Noir tout en vérifiant le nombre de munition dans son chargeur. Petit, tu vas devoir te bander tout seul. On n’a pas le temps d’extraire la balle. Déposant le rouleau sur les jambes du jeune homme, il se redressa pour tirer une salve en direction des raiders. Il faut que tu sers suffisamment pour que ça arrête de saigner au maximum, tu comprends ? Une nouvelle salve. La situation n'allait pas en s'arrangeant, l'avant poste était trop loin et les raiders trop nombreux pour tenter d'évacuer le civil, d'autant plus qu'avec sa blessure, il n'irait pas bien loin. Ils allaient devoir rester et prier pour que de nouveaux raiders ne viennent pas et que les camarades du soldat ainsi qui lui-même parvienne à se débarrasser des brigands grâce à leurs tirs croisés.

Un coup de feu retentit alors que l'autre me disait que les autres n'étaient pas importants. L'impact se trouvait bien trop près de nous pour que ce soit une balle perdue. Le soldat me poussa contre le sol et se mit sur moi. Sûrement pour me protéger. Je grimaçai de douleur en sentant la pression de son poids contre ma plaie. Et cette saloperie de balle qui n'avait pas l'air de vouloir bouger de là... J'étais incapable de bouger par moi même, si bien que je restai allongé sur le sable pendant que le brun allait prendre son arme. Quand il me tira pour me mettre derrière lui, j'essayai de ramper comme je le pouvais, pour l'aider. Cet homme débordait de courage, et malgré le liquide vermillon qui coulait entre mes doigts, je ne pouvais m'empêcher de l'admirer. J'étais allongé sur le dos à nouveau. Il se passait quelque chose, je le voyais à l'attitude du soldat. Il avait chargé son arme pour tirer vers les raiders. Pensant que nous étions hors d'affaire, j'essayai de tendre le bras vers mon sauveur, histoire qu'il m'aide à me relever. Seulement, il n'eut pas vraiment la réaction que j'attendais. Je sentis son bras attraper plutôt violemment mon épaule pour me jeter derrière un rocher. Il se glissa à côté de moi, suivi de près par une salve de balles. Allons bon, nous n'allions quand même pas tous mourir juste aux portes de l'avant-poste de l'ERGP ? Si ?

Il me donna des bandages, me demandant de me panser tout seul. J'enroulai le bandage autour de mon ventre, serrant autant que je le pouvais. Le blanc immaculé vira immédiatement au rouge vif et je grimaçai en appuyant une dernière fois sur la plaie. Mes doigts tremblaient quand je nouai la bande, en espérant que ça tienne. Dans un souffle, je répondis à l'homme, qui tirait sur les raiders :

« De l'électronique. Des pièces rares, je crois. »

Il avait posé sa question bien avant, mais je ne me sentais pas la force de lui répondre. Ma gorge était sèche et j'entendais ma voix trembler. A chaque fois que j'inspirais, j'avais l'impression d'ouvrir ma blessure. J'avais presque envie de mettre mon doigt à l'intérieur, pour arrêter l'hémorragie.

« Mais ce n'était pas censé se savoir... »

Enfin, les tirs cessèrent. Je ne savais pas si c'était parce que les raiders étaient à court de munitions ou si l'ERGP les avaient enfin abattus... Mes doigts commençaient à me picoter et je me sentais pâlir. Je ne devais pas flancher, il ne pouvait pas me porter jusqu'à l'avant-poste et se débarrasser des raiders en même temps... Appuyé contre le rocher, j'essayais de calmer ma respiration, fermant les yeux pour me concentrer. Après tout, ce n'était qu'un peu d'hémoglobine... Quand j'ouvris à nouveau les yeux, le soleil m'éblouit. Un homme s'approchait de nous mais je ne pouvais pas le voir... Raider ou soldat ? J'espérais que ce serait la deuxième proposition.

Les tirs ricochaient contre la pierre, sifflant aux oreilles d’Ajax et du jeune homme. Tachant de viser un minimum, Ajax ne pouvait pas s’empêcher de porter son regard sur le voyageur. Celui-ci blanchissait de seconde en seconde et si l’hémorragie n’était pas stoppée et la balle retirée dans les plus brefs délais, ça allait très mal se passer pour lui. Ses munitions diminuaient trop rapidement, il n’avait pas pris assez de chargeurs sur lui pour une telle échauffourée. Ni lui ni les autres ne pourraient continuer cela toute la journée et ses compagnons allaient devoir faire preuve de beaucoup de précision dans leurs tirs, pas forcément la qualité de tous.

Le jeune homme lui répondit, et sa réponse ne surprit guère Ajax, elle expliquait notamment pas mal de choses. La qualité et la quantité devaient être au rendez-vous pour que l’attaque ait lieu si près de l’avant-poste. Ce qui surprit Ajax, c’est que cette cargaison devait être secrète. Il n’était pas rare que les caravanes cachent leurs marchandises, notamment pour éviter ce genre d’attaque, mais de là à en faire un secret ? Une balle ripa sur le rocher plus près que les autres et tira Ajax de ses pensées. Il aurait tout le temps d’y repenser une fois les raiders tués. Et le gamin sauvé.

Les tirs cessèrent finalement comme ils avaient commencé, de manière abrupte. Ajax restait assis au côté du jeune caravanier, sans bouger, les bras prêt à s’actionner et le doigt prêt à appuyer sur la gâchette du fusil, qui tirerait les ultimes balles de son chargeur. Une ombre se dessina par-dessus le rocher, puis l’homme leur apparut. Un raider. Alors que le visage d’Ajax se crispait et qu’il plaçait son arme en joue, un bruit sourd retenti tandis l’homme des Terres Désolées s’effondra dans la poussière, un impact énorme à l’arrière du crâne. Fusil à l’épaule, ce fut un soldat qui déboula quelques secondes plus tard, une mine sévère.

- Ces saloperies de raiders nous ont pris à revers, on a cru que t’étais crevé, Sanders. Dit le membre de l’ERGP en aidant son camarade à se relever. Ils ont laissé personne vi…
- Faut que tu m’aides, Max. le coupa Ajax, se rendant bien compte qu’il était sur le point de dire une connerie. Il y a le gamin là, il a besoin de soin, et j’suis pas en état de le faire. Continua-t-il en montrant l’épaule dont une partie de chair manquait. Juste une éraflure. Va prévenir Connors, il va s’occuper du caravanier. Approuvant d’un signe de tête, le dénommé Max partit à pas de course disparaissant dans la poussière et le soleil.

- Ca va allez, c’est fini. Dit Ajax en s’agenouillant devant le jeune homme. J’vais t’aider à te relever, tu t’appuieras sur moi pour que réduire tes efforts, okay ? Plaçant son fusil de travers dans son dos, il attendait que l’homme roux passe le bras autour de son coup. Et faudra que tu m’dises ton nom aussi, p’tit gars, j’aime pas payé un coup à ceux dont j’ignore le nom.

Il avait tenté de sourire tout en parlant, malgré le sinistre carnage dans lequel ils s’apprêtaient à mettre les pieds.

Je ne bougeais plus, j'avais l'impression que j'allais tomber si je me redressais. Ma tête tournait de plus en plus. Et quand j'ouvris les yeux, je vis le visage du soldat, crispé. La lueur rassurée que j'aurais voulu voir n'était pas là. Non, l'homme qui arrivait était un raider. Il y eut une détonation énorme et je vis l'ombre du raider s'effondrer au sol. Et un autre homme arriva, donnant enfin un air plus détendu à celui qui m'avait entraîné ici. Moi aussi, j'essayai de sourire aux deux hommes de l'ERGP. Ils m'avaient sauvé la vie. Mais j'entendis quelque chose qui me mit dans un état de panique. L'homme qui s'appelait Max venait de dire que personne n'avait survécu. Comment ça personne ? Est-ce que tous les membres de la caravane étaient morts ? Les raiders n'avaient-ils épargné personne ? C'était impossible. J'avais sûrement mal entendu. Je ne comprenais plus vraiment ce qui m'arrivait. Max était reparti alors que l'autre revenait à mes côtés. J'avais peur, peur d'avoir perdu ma deuxième famille, mais j'étais trop mal en point pour pouvoir l'exprimer.

Quoi qu'il en soit, je compris qu'il voulait que je m'accroche à lui pour me relever. Est-ce que j'étais seulement capable de me tenir debout ? Il me semblait que oui. Alors aussi vite que je le pouvais, je me glissai vers lui et passai mon bras autour de son cou. Son bras dans mon dos, il m'aida à me lever. J'eus envie de vomir, et de me rasseoir aussi. Mais je savais bien que nous ne pouvions pas rester là indéfiniment. Nous risquions seulement de voir d'autres raiders arriver. Ah oui, mon prénom. En essayant de porter ma voix comme mon corps, je tournai la tête vers lui avec un semblant de sourire. Bonne idée qu'il avait eue, de me proposer un verre :

« J'm'appelle William. Et toi ? »

Et là je vis. Si je n'avais pas eu cet homme comme appui, je crois que je serais tombé. Il y avait du sang partout et des corps. Des personnes que je connaissais, des marchands, des gardes... Il y avait aussi des raiders, baignant dans leur sang. J'essayais de ne pas regarder mais il y en avait tellement... Et où étaient les survivants ? Nous marchions doucement, et plus nous avancions, plus j'avais l'impression qu'il n'y avait pas de survivant. Il fallait que nous marchions en zig-zags pour ne pas piétiner les corps. Des insectes venaient déjà sur certains cadavres pour commencer à les dévorer. Je me retournai légèrement vers mon compagnon, m'agrippant un peu plus à son épaule :

« Où ils sont, les survivants ? »

Portant le jeune homme par l’épaule, le soldat fit tout son possible pour que le mouvement soit le moins grand possible, réduisant ainsi les douleurs physiques que pourraient donner le déplacement. Le jeune répondit à sa question, ce qui marqua le visage fatigué de l’observateur d’un sourire.

- Enchanté William, moi, c’est Ajax. Répondit-il au blessé. Il ne pu cependant pas continuer la discussion plus longtemps. Tournant le regard, les lieux du combat se découvrirent peu à peu face à eux, qui revenaient de leur propre enfer personnel. William du avoir un haut de cœur, ou une nausée en voyant ce triste spectacle, son poids augmentant de façon significative lorsque les premiers cadavres apparurent. Le regard blasé du soldat parcourut la scène. Il y avait bien longtemps que ce genre de boucherie ne lui faisait plus grand effet.

Il avait vu des amis, des frères se faire ainsi massacrer par des raiders. Qu’il l’avoue ou pas, les visages des premiers morts qu’il avait vu ne représentaient plus rien pour lui, que ce soit ceux qu’il avait vu mourir ou ceux qu’il avait tués. La poussière commençait déjà à recouvrir certains corps, cachant les expressions de peur figées à jamais sur leurs visages. La pâleur du survivant trahissait son manque d’expérience face à la mort. Tout le monde dans les Terres Désolées n’est donc pas sujet à cette violence et cette haine ? Plus que de la pitié, Sanders ressenti une compassion pour le gamin.

- Soldat, je veux un détachement de trois hommes, vous allez chercher de quoi ramener les corps, nous les enterrons dignement. Le soldat répondit d’un salut de la tête et pointant deux autres hommes, ils partirent à une vitesse certaine en direction de l’avant-poste.

- Où ils sont, les survivants ? Demanda finalement William, dont le bras se crispait tout en parlant au chat noir. Il baissa les yeux et ne répondit pas tout de suite, déposant le jeune blessé sur un roc, dos à cette hécatombe. Le médecin s’approcha du duo, examinant d’abord Ajax, plus à sa portée, qui le brusqua et qui pointa William d’un hochement de tête. Le médecin s’approcha de William et commença à œuvrer.

- Ecoute gamin… Commença finalement Sanders, s’asseyant aux côtés du caravanier. Il est fort possible que… Sa spécialité, à Ajax, c’est de tuer. De parcourir les Terres Dévastées, d’observer ceux qui croisent sa route et si cela doit être fait, d’abattre une cible potentielle. Pas de réconforter l’unique survivant d’un carnage. Comment te dire ça, William… Alors qu’il s’apprêtait à avouer la chose à laquelle devait bien se douter le voyageur, des cris retentirent dans leur dos, accompagné d’un « On en a un ! On en a un qui vit ! » Ajax releva la tête et fit signe à William de ne pas bouger, pour laisser le docteur s’occuper de lui. La main sur la crosse de son arme, Sanders s’approcha du tumulte.

- Dites-moi que c’est un des membres de la caravane qui vit… Pria l’observateur en arrivant à la hauteur de ses camarades.

Revenant auprès de William, toujours aux mains du soigneur qui termine alors son œuvre, Sanders se plante face à lui, déposant une main sur l’épaule du rescapé.

- Ça va pas être facile à entendre, mais vous êtes que deux à avoir survécu. Toi et cet homme là-bas. D’un mouvement de tête, Ajax désigna l’homme allongé sur le brancard de fortune tandis que deux soldats restant le ramenaient vers eux.