Leopold grommelait depuis la veille déjà. Des attaques de raiders relativement près du camp de l'ERGP avaient ralenti leurs plans. Ils prévoyaient de se rendre à la Confrérie de l'Acier car du matériel assez important les attendait dans leurs cargaisons. Il n'était pas confortable de trimbaler autant d'armes et de munitions, généralement denrées incroyablement convoitées, et surtout de les garder au même endroit plusieurs jours, laissant des voleurs éventuels le soin de pouvoir analyser les rondes et les tours de gardes. La mobilité était leur principal avantage étant donné qu'ils n'étaient pas lourdement armés. Les boutiques sédentaires, elles, devaient généralement enfermer leurs affaires entre deux murs de bétons ou alors endormir une dizaine de gardes avec des fusils d'assauts dessus pour espérer ne jamais se faire voler. Toujours sur les routes, c'était un peu la règle de la caravane. Une fois les affaires bouclées, une fois le maximum qu'ils pouvaient tirer de leurs objets, dans leurs poches, ils déguerpissaient vite fait et allait autre part pour rééchanger le tout, tout le temps, constamment. Du coup Leopold n'était pas satisfait du tout. Il râlait et allait souvent boire en laissant les gardes se démerder avec les tours de garde. Raven avait un peu aidé les personnes armées de la caravane qui devaient toujours être dans le coin, sans pouvoir rien faire à part garder leurs yeux sur la marchandise, et en plus devaient supporter la mauvaise humeur du patron.

Raven avait terminé son tour de garde et elle avait été relevée assez vite. Son rôle de négociatrice devait certainement un peu les stresser étant donné qu'elle n'était douée qu'avec un katana. Si un voleur venait à arriver avec une arme à feu, elle serait bien embêtée. Ainsi, elle n'était pas particulièrement fatiguée et alors qu'elle se dirigeait vers le bar où elle retrouverait certainement Leopold, elle vit des soldats de l'ERGP revenir au camp, l'air fatigué et un peu sombre. Elle s'approcha et les regarda revenir, échanger quelques paroles avec les habitants du coin. Elle rentra dans le bar et dans la masse des personnes armées elle reconnu une tête qu'elle connaissait assez superficiellement. C'était là l'occasion d'avoir quelques informations à rapporter au chef de la caravane histoire de l'apaiser momentanément. S'approchant de la femme, elle la salua de loin d'un mouvement de main avant de s'approcher. « Hé ! Ça va, vous avez pas eu trop de pertes ? » demanda-t-elle d'un air concerné. Elle ne les connaissait pas et n'avait pas d'amis à l'ERGP mais perdre des clients était toujours quelque chose d'embêtant et plus la population était déprimée, moins elle ressentait l'envie d'échanger.

Elle ne connaissait pas vraiment la jeune femme et savait juste qu'elle avait un gros fusil et qu'elle partait au combat assez régulièrement pour essayer de défendre ses terres. Quelque chose que Raven aurait du mal à faire tellement il y avait peu de gens dont la destiné lui importait. Mais histoire d'être au courant de ce qui se passait dans les environs, il fallait bien parler avec les habitants et les acteurs en première ligne de chaque évènement. Si elle pouvait avoir des informations aussi sur les munitions qui manquaient, elle pouvait éventuellement réussir à négocier une exclusivité de vente temporaire et refourguer le stock qu'ils avaient préparé pour la Confrérie... Après tout, personne ne le saurait jamais et ils pourraient toujours argumenter que la nécessité d'armer ceux qui les protégeaient passait avant les commandes réalisées par d'autres. Mieux valait une marchandise vendue vite qu'une marchandise vendue chère. N'importe qui dans le coin savait que rien ne durait très longtemps. Vous pouviez avoir l'objet le plus incroyable à vendre mais si personne ne le prenait concrètement, vous n'aviez rien.

Assise sur une chaise en bois, les bras posés sur la table, mes prunelles sombraient dans le verre que le serveur venait de m'apporter. Il y avait du bruit autour de moi, les soldats discutaient entre eux ou bien avec quelques civils qui se trouvaient dans la même pièce que mes collègues. Comme d'habitude, la solitude était mon unique compagnon. La seule chose qui était à côté de moi, se trouvait être mon DKS-501, il était calé contre le mur qui était à ma droite. Les lèvres serrées, pas un bruit ne jaillissait de ma bouche même quand les autres membres de l'ERPG me saluaient. Ils avaient beau se montrer courtois, agréable avec ma personne, aucun mot ne sortira de ma bouche. C'était comme ça, et pas autrement. On me surnommait « La Silencieuse », ce surnom reflétait bien ma personnalité, froide et insociable. Mes doigts attrapèrent la anse du réceptacle de ma bière brune. Lorsque le verre s'approcha de ma cavité buccale, cette dernière s'ouvrit, et à petite gorgée le liquide ambré se versa dans mon gosier, le rafraichissant au passage. C'était dans un bruit lourd que le contenant de ma bière heurta le bois de la table. Ma langue vint lécher le haut de ma lèvre-supérieure, car il y avait un peu de mousse, cela se sentait.

Un homme vint à ma table. Il me salua et me demanda s'il pouvait s'asseoir à mes côtés. Il avait un verre dans chacune de ses mains. L'individu devait avoir le même âge que moi, mais il faisait partie d'un bataillon différent, car son visage m'était complètement inconnu. Même si nous venions d'essuyer plusieurs attaques ennemies, je n'allais pas me montrer chaleureuse avec ce dernier, comme ses confrères, il allait recevoir un refus catégorique. Un simple regard noir et un poing serré suffirent à lui faire comprendre qu'il devait passer son chemin et aller boire avec d'autres personnes, ma compagnie lui serait douloureuse plus qu'autre chose. Mes paupières se replièrent. Le désir de faire le vide autour de moi me tiraillait grandement. Quelle idée de venir ici puisque je recherchais le calme ainsi que la solitude ? Cet endroit grouillait de gens. Lorsque je rouvris les yeux, une énième personne me fit un signe de la main. Cette fois-ci, il ne s'agissait pas de l'un de mes homologues, mais d'une civile. Elle s'approcha de moi. Au fur et à mesure que la demoiselle réduisait l'écart qui me séparait d'elle, j'étais capable de mieux discerner ses traits. Son visage m'était familier. Pendant que je cherchais où nous nous étions croisées, la jeune femme s'adressa à moi en me posant une question. Elle désirait savoir si nous n'avions pas eu trop de pertes dans nos rangs.

Mon corps et mon visage ne bougeaient pas d'un iota devant cette interrogation. Je restais parfaitement de marbre, un des domaines dans lequel j'excellais tout particulièrement. Mais quelque chose au fond de moi, me disait d'être aimable avec la demoiselle, de ne pas l'envoyer paître comme je l'avais fait avec ses prédécesseurs qui tentèrent d'établir une conversation avec ma personne. Néanmoins, je ne pouvais pas révéler une information de cette ampleur à un individu lambda, même si cette dernière commerçait avec notre organisation. Inconsciemment, je venais de me souvenir de la jeune femme et de l'endroit où nos chemins s'étaient déjà croisés. Elle faisait partie de cette caravane qui nous faisait des prix en guise de notre protection, du donnant-donnant après tout. Ce que je m'apprêtais à faire était rare, mais j'allais le faire. « Nos gars sont coriaces. » Lâchais-je avec un peu d'étonnement, car cela me faisait toujours drôle quand je discutais avec une personne en chair et en os, car oui il m'arrivait parfois de converser avec mon DKS-501, de lui parler comme s'il s'agissait d'une entité vivante. « Tu peux t'asseoir, si tu veux. » Incroyable, je l'invitais à me rejoindre. J'allais de stupéfaction en stupéfaction. L'étape suivante était de me présenter à cette dernière, de papoter avec elle comme le ferait n'importe quelle personne normale ?

Mes deux mains vinrent se poser sur ma bière, non pas que j'aie peur que l'on me la prenne, mais parce que j'étais un peu gênée par la situation. Pour moi il était bien plus aisé de coller une balle dans la tête d'une de ces enflures de Raiders que d'adresser la parole à un individu qui m'était presque inconnu. Espérons que l'épreuve que j'acceptais ne soit pas trop difficile. « Je crois que tu travailles dans la caravane qui nous vend du matos ? » Même si je l'avais reconnu, je ne savais pas trop quoi dire et la petite voix que j'entendais dans ma tête me sommait de dire quelque chose.

Bizarrement, Raven ne savait pas pourquoi elle avait cru que cette femme là, accoudée au bar, la tête rentrée dans les épaules revenait tout juste du combat. Ni même comment elle avait réussi à la reconnaître comme ça mais une pulsion étrange qui ne lui correspondait pas l'avait poussé à adresser la parole à quelqu'un voulait être laissé tranquille. Elle même détestait être dérangée mais il fallait croire que le mécontentement de son chef était tellement grand qu'elle n'avait pas pu s’empêcher de faire une grosse entorse à ses habitudes. Ainsi accoudée au bar, elle envoyait le signal très clair qu'elle ne voulait rien dire et rien faire avec personne. Raven doutait aussi qu'elle veuille lui dire quoi que ce soit dans un lieu aussi bondé et la discrétion de la rue et des ruelles qui offraient un lieu privilégié pour les discussions leur manquait. Tant pis, elles se contenteraient certainement d'échanger des banalités en haussant la voix pour entendre ce que l'autre disait dans un lieu aussi bruyant. Après tout elles ne se connaissaient pas et avaient juste échangé quelques paroles lors d'une vente de munitions, elle pouvait bien l'envoyer bouler que ça ne changerait pas particulièrement la journée de la marchande. Avec un boulot comme le sien il était incroyablement fréquent qu'on lui réponde vertement et qu'on la braque. Tant qu'elle ne brandissait pas son fusil entre ses deux yeux, la jeune asiatique ne serait pas particulièrement choquée.

La femme lui répondit que leurs gars étaient coriaces ce qui ne répondait en rien à sa question. Ensuite elle lui proposa de s'asseoir ce qu'elle fit. Si après tout ça pouvait lui servir d'avoir des informations, même dans un bar malgré les gros problèmes de sécurité que ça pouvait poser, tant mieux, elle était prête à faire amie-amie si ça lui chantait. Raven était bonne à la parlotte et pouvait embrouiller beaucoup de gens en plus de les cerner assez vite. La femme à côté d'elle, serrant timidement sa bière était un soldat et du coup, elle savait qu'elle n'aurait pas à faire de grandes enjambées rhétoriques pour aller au but et devrait couper court, à travers champs pour avoir ce qu'elle voulait entendre. Bien entendu, ce n'était jamais aussi facile que ça et Raven n'était pas infaillible. Se faire rouler dans la farine arrivait bien plus souvent qu'elle n'aurait voulu le reconnaître et ça arrivait malheureusement aux plus grands comme aux plus petits. Une rigueur dans le boulot était un peu la clé pour éviter les trop grosses surprises. Les informations fiables, par exemple, évitaient souvent de trop bluffer et être sûr de ses informations ajouter à l'assurance que vous dégagiez, réduisant souvent significativement les arnaques, comme si les personnes mal intentionnées arrivaient à sentir les gens qui ne pouvaient pas être baratinés.

La snipeuse sembla la reconnaître et Raven hocha la tête. « Oui, la Caravane de Leopold Harris. On est bloqué là jusqu'à ce que les environs se dégagent un peu. » les implications d'une situation de siège dans le Colorado étaient souvent catastrophiques. L'eau potable et non toxique était rare et il fallait souvent envoyer des équipes en chercher, de plus, la nourriture n'était pas très facile à trouver en ville et Raven savait que des convois agricoles faisaient la route pour alimenter la population. Si les caravanes marchandes étaient stoppées, le commerce ne pouvait plus repartir et les ressources ne se régénéraient plus. Cela impactait sur le moral aussi bien que sur la puissance des soldats. Mais est-ce que la soldat qu'elle avait en face d'elle s'encombrait de ce genre de calcules inutiles ? Après tout, on lui demandait d'abattre des cibles et non pas de palabrer sur la situation économique de l'ERGP. « Du coup, tu penses qu'ils vont s'éloigner bientôt ? » Après tout, jusqu'à présent, la route jusqu'à l'ERGP n'avaient jamais été vraiment difficile à faire et c'était une des seules fois où ils avaient dû rester quelques jours de plus ici. Et ce ne serait potentiellement pas la dernière...

La demoiselle qui venait de s'asseoir en face de moi précisa que le convoi auquel elle appartenait était la possession de Leopold Harris. Le nom ne me disait pas grand-chose puisqu'on le surnommait « Cyclope » et mon esprit s'était familiarisé avec ce terme. Néanmoins, j'allais essayer de faire un effort en mettant l'identité du borgne dans un coin de ma tête. La jeune femme aux yeux en forme d'amande m'expliqua également que la caravane dirigée par Monsieur Harris se trouvait être bloquée puisque les environs étaient en ébullition depuis un petit moment. Elle et les siens devaient sans doute faire preuve de patience, raison pour laquelle la vendeuse était rentrée dans le bar, pour tuer le temps ? Le brouhaha autour de nous raisonnait dans mes oreilles, il ne m'aidait pas à être calme ainsi que détendu. J'étais venue ici pour trouver une certaine quiétude, mais mon instinct de femme s'était trompé. Jamais, j'aurais dû mettre les pieds ici, en plus la bière était chère, davantage onéreuse qu'à son habitude, mais le contexte dans lequel nous nous trouvions correspondait à celui de la guerre. Mes doigts étaient crispés sur ma boisson alcoolisée, je fermais quelques secondes mes paupières pour chercher du calme en faisant le vide.

La voix de la douce jeune femme m'extirpa dans ma quête de relaxation, mais ce n'était pas très grave puisqu'il m'était impossible d'être relâchée dans un endroit aussi bruyant et populaire que celui-là. Celle dont je ne connaissais toujours pas le nom - ce qui devait en être de même pour elle - me demanda si nos assaillants allaient bientôt déguerpir de Dog City. Sa question était intéressante ainsi que légitime en tant que civil, il était normal de se demander combien de temps dureront les assauts, mais encore plus pour des commerçants, car si les potentiels acheteurs se trouvaient sur le front ou planquer quelques parts, leurs affaires restaient au point mort. « Ce n'est plus qu'une question de temps. » Ma réponse à son interrogation était des plus basiques, il n'y avait dans le fond aucune révélation, mais il s'agissait de répliques basiques que l'on nous nous enseigna durant nos classes lorsque l'on devait s'adresser à la populace. Si je venais de sortir l'une d'entre elles, c'était plus par automatisme qu'autre chose. Le fait de me trouver nez à nez avec une personne en face, me rendait nerveuse, j'avais envie de dire quelque de plus personnel et non une réponse déjà toute formatée. « Leurs attaques ont fait beaucoup de bruit, mais elles sont trop légères pour pouvoir nous inquiéter plus que cela. » Disais-je en entrouvrant mes lèvres pour laisser le son sortir et être audible pour la jeune femme.

Mon regard se posa sur mon arme de fonction durant quelques secondes. Mon DKS-501 était toujours-là. En pensant à ce dernier et en l'associant à la vendeuse assise à ma table, mon cerveau pensa aux minutions. Celles que j'utilisais étaient bien spécifiques et l'une des consignes qui me fut donnée, était de toujours veiller à ce que mon nombre de balles soit suffisant. Je pouvais peut-être en profiter en demandant à l'inconnue, si elle n'avait pas dans son stock ce qui me maintenait en vie ? La caravane pour laquelle elle travaillait était dans le secteur, c'était elle-même qui me l'avait affirmé. Même si mon ventre commençait à se tortiller sur lui-même étant donné que j'étais grandement gênée de m'adresser de la sorte à l'asiatique, je me faisais violence. « Tu aurais du calibre .308 en boutique, j'ai un peu peur d'en manquer ? » Mes mains lâchèrent la bière pour se diriger vers mon fusil de précision, ces dernières étaient tellement habituées à manipuler cette arme, que je pouvais très bien me passer de mes yeux. J'extirpais une de ces fameuses balles pour la montrer à la demoiselle si elle n'avait pas le diamètre en tête. Après tout, c'était le genre de munitions qu'employait une minorité de soldats, uniquement ceux qui maniaient des fusils ayant une grande portée de tir.

« Je m'appelle Phoebe. » Ma voix s'était faite toute timide lorsque je lui annonçais mon prénom. L'étonnement parcourait tout mon corps, car je ne me savais pas autant timide. D'habitude, j'étais froide et direct avec les hommes, mais là c'était différent, sans doute parce que mon interlocutrice était une femme, ce qui devait provoquer cette gêne qui se démarquait tant.

La femme semblait assez gênée de lui parler. Raven ne savait pas bien si elle correspondait un peu à l'image du soldat le nez trop dans son travail : souvent ceux-ci ne savaient plus rien faire à part appuyer sur une gâchette. Ils étaient importants pour les opérations de terrain et écoutaient les ordres à la lettre sans jamais dévier de leurs lignes de conduite. Il y avait des bons côtés et des mauvais. Si les chefs appréciaient souvent une main d’œuvre maniable et soumise, ces robots avaient tendance à être totalement dépourvus de consciences et de réflexions : ils agissaient en suivant les ordres souvent totalement insensibles aux absurdités humaines qui frappait à présent tout le monde sur cette terre. Des soldats cons comme leurs pieds et qui ne savaient pas aligner des mots comme « bonjour » elle en avait vu. Ils n'étaient intéressés que par les réductions qu'ils pratiquaient dans la caravane de la jeune femme et c'était à peu près tout. Si on leur demandait autre chose qui sortait du domaine des armes et de l'armée, ils étaient tout à fait incapable de répondre. Mais la femme en face d'elle ne semblait pas aussi vide et stupide. Même, elle semblait trop intelligente pour sa fonction. Le problème inverse. Se faire assigner à un poste répétitif et aussi peu réflectif de l'avis de Raven était un gâchis pur et simple. Les têtes manquaient tellement dans le Colorado, ils pouvaient être bien plus qu'un simple outil de violence. Soulever des communautés et diriger de nouveaux territoires. Le problème des petites communautés isolées et des grands avant-postes avec le monopole était l'absence d'opportunités et de montées sociales. Les marchands pouvaient bien s'en rendre compte pendant leurs voyages. Un prix unique et un commerce unique ancrait généralement les gens dans leurs conditions misérables. Partir loin, tenter sa chance à la ville, dans une caravane ? Non, plutôt rester dans son lopin de terre en auto suffisance... Ce n'était pas bon pour les affaires et si les affaires allaient mal, tout le monde finissait par en souffrir. En tout cas, la femme, au cerveau lavé ou non, lui répondit une réponse bien classique de la tradition communicative de l'armée. Ni oui ni non, un jeu bien ironique quand on savait que ces gens tuaient à tour de bras jour après jour.

Raven ne put s'empêcher de sourire légèrement en entendant cette réponses avant de se montrer plus attentive que la snippeuse lui expliqua que même si les attaques faisaient du bruit et pouvaient faire peur, ça n'inquiétait pas vraiment l'ERGP qui gérait ça depuis pas mal de temps. Raven hocha la tête silencieusement. Malheureusement pour elle et pour Leopold, ils n'avaient pas de combattants qui seraient prêt à tenter une percée au milieu d'un groupe raider. Et d'ailleurs, leur brahmine aurait bien du mal à accélérer le pas et à passer au milieu des balles. Déjà qu'elle traînait déjà la patte un peu trop du goût de pas mal de marchands et de gardes, ce serait le comble qu'elle survive à un tel traitement ! Cherchant rapidement des yeux le vieux cyclope dans la salle, elle abandonna vite en voyant l'abondance de personne tout autour d'elle. Le vieux devait être entrain de grommeler et râler dans son coin en sirotant sa cinquième bière, peut être plus. Reportant son attention sur la jeune femme celle-ci finit par lui demander si elle avait du calibre 308 dans son inventaire avant de se présenter. Tendant la main pour la serrer elle se présenta à la suite « Raven. Viens faut que je vérifie si j'ai ça... » puis elle se leva pour sortir du bar. Son inventaire, elle l'avait sur elle mais hors de question de sortir son carnet au milieu d'une foule et d'ainsi provoquer les oreilles traînantes qui pourraient bientôt se transformer en mains voleuses. L'information était le pouvoir. Si on ne connaissait pas le stock d'un marchand, difficile de vraiment savoir si on avait envie de prendre le risque de se faire descendre. Une fois dehors, la jeune femme se mit un peu à l'écart et s'adossa à un mur avant de sortir un petit carnet en cuir qui semblait avoir fait son temps mais qui comportait encore pas mal de pages. Le sable, le vent avaient laissé leurs traces assurément, mais l'encre continuait d'être lisible, en tout cas pour Raven, ce qui était l'important.

« Alors... Calibre .308... Ouai j'en ai. Il t'en faudrait combien à peu près ? » Ne pas dire de chiffres exactes. Demander au client et après affirmer ou refuser ou baisser. La confrérie demandait souvent des calibres un peu rares et compliqués à se procurer mais mieux valait un deal peu cher qu'un gros deal qui ne venait jamais. Au moins, la jeune marchande rentabilisait-elle le fait de devoir rester à attendre. Un peu d'argent en poche, Leopold ferait assurément moins la gueule ce soir en découvrant que la jeune asiatique avait bouclé un petit deal dans la journée alors que les habitants étaient moins enclins à échanger ce qu'ils possédaient.

Raven. Maintenant, j'étais en mesure d'associer un prénom à ce visage si peu familier, mais pas non plus inconnu. La jeune femme me demanda de la suivre. On allait donc quitter le bar, ce qui en soi n'était pas une mauvaise chose, le brouhaha continue commençait à me taper sur le système et ma patience atteignait ses dernières limites. J'accrochais mon arme de service, le DKS-501 dans mon dos à l'aide de la sangle que je lui avais rajouté lorsque je désirais avoir les deux mains libres quand je me baladais dans une zone « sécurisée ». Le terme n'était peut-être pas le bon aujourd'hui, mais je n'allais pas pour autant me plonger dans un schéma tactique à l'intérieur de l'Avant-Poste de Denver. De plus, j'étais une snipeuse, je ne combats que lorsque mon corps est allongé sur le sol d'un perchoir et non à même le sol, je me ferais tuer bêtement. Bref, je suivais la demoiselle avec une certaine légèreté, car le fait de quitter les lieux m'apportait un réel apaisement. Je laissais ce temple de soiffards aux hommes, ils étaient bien mieux entre eux. De cette manière, je m'évitais toutes tentatives d'abordages d'un mâle qui penserait avoir une chance de me charmer d'une quelconque manière.

Une fois dehors, je ne lâchais pas l'asiatique. Je ne faisais plus qu'un avec son ombre. La belle s'arrêta et s'adossa contre un mur à l'abri des regards. Ne comprenant pas trop ce soudain arrêt, je redressais mon sourcil gauche d'étonnement. J'avais envie de prononcer quelques mots pour comprendre ce soudain revirement, puisqu'à la base je pensais que nous quittions le bar pour justement trouver du calibre 308, comme je le lui avais demandé. Même si Raven ne paraissait pas menaçante aux premiers abords, je restais sur mes gardes, qui sait la jeune femme allait peut-être m'attaquer puisque je la voyais chercher quelque chose ? Mais ce ne fut rien de tel. Non, la vendeuse ne s'était pas tapissée dans une ruelle moins exposée pour me faire un guet-apens, puisqu'elle venait de sortir un petit livre en cuir. Cette méfiance qui venait de me tomber dessus ne me rassurait pas grandement. Je n'aimais pas faire preuve de paranoïa et-là je venais d'en faire une, pensant qu'un corps inconnu allait m'attaquer en traite. Depuis que ces chiens de Raiders ont su pour moi, je suis maintenant victimes de raids sur le terrain à mon encontre. La dernière fois, on m'envoya même des grenades sur ma position, heureusement que mon coéquipier était là sinon j'aurai été dans une situation avec une pente très glissante. D'un autre côté, il était aussi normal que mon partenaire veille sur moi, car il s'agissait de son attribution première. Mes yeux ne peuvent pas tout voir, il en faut parfois d'autres.

Mon intention se focalisa de nouveau sur Raven. Oublions ces moments de stress qu'étaient devenus mes sorties dehors pour faire le métier que j'exerçais avec tant de passion, ainsi que ces moments de paranoïas douteuses qui n'avaient pas lieu d'être. Le calepin qui se trouvait entre les mains de l'asiatique, devait être une sorte d'inventaire puisqu'elle m'annonça en feuilletant ce dernier qu'elle avait bien du calibre 308. Un léger sourire se dessina sur mon visage, mais il ne resta que quelques secondes. Si mon sourire se dissipa c'était parce que la vendeuse en avait profité pour me demander combien j'en voulais. En toute honnêteté, je n'avais pas cette réponse. Il fallait donc que je réfléchisse. « Je dirais vingt balles. Cela devrait me suffire. » Disais-je à Raven. Je n'étais pas pour autant démuni au niveau des minutions, j'en avais, donc une petite vingtaine me paraissais un chiffre raisonnable. Maintenant, il était question du prix. « Tu me les fais à combien ? » Lui demandais-je. Si je pouvais un peu marchandé je n'allais pas m'en priver, mais c'était un domaine dans lequel je n'étais pas la plus douée, mettre une balle dans la tête d'un Raider me semblait plus simple que demander une ristourne sur un lot.

La jeune femme la suivit sans broncher à l'extérieur. Raven eu l'impression qu'elle était un peu stressée, sur ses gardes, ce qui pouvait parfaitement s'expliquer vu la situation légèrement inconfortable dans laquelle était l'ERGP depuis quelques jours. A vrai dire, tout le monde était un peu sur ses gardes après tout : déjà en temps normal, la moitié des habitants redoutaient tout et n'importe quoi mais maintenant qu'ils avaient une raison de se pisser véritablement dessus, c'était encore pire. Raven ne se combattait pas en plus, alors le stress du combat elle ne connaissait pas vraiment. Elle s'était déjà combattue pour sauver sa petite vie mais jamais elle n'avait été au devant du danger volontairement si ce n'était pas absolument nécessaire dans l'immédiat. Elle ne savait pas bien si elle respectait ou si elle considérait les soldats de l'ERGP fous. L'un dans l'autre, ce n'était pas franchement son problème. Ne pas s'occuper des affaires des autres était quelque chose qu'elle savait très très bien faire. Même si elle s'occupait de loin des affaires de ses potentiels clients, elle n'aimait pas vraiment les petites conversations intimistes et personnelles que certains ressentaient le besoin d'avoir. L'histoire n'était intéressante que dans les « on dit » et rien n'avait réellement éveillé l’intérêt de la jeune asiatique, sauf peut être ce raider étrange qui semblait la connaître ou la confondre avec quelqu'un. La snippeuse parut presque un peu sur les nerfs quand elle farfouilla ses poches pour sortir son carnet. Ce serait quand même un peu dommage de se faire tirer dans la tête car cette charmante demoiselle avait un peu les chocotte à cause des raiders... Bref, carnet sortit, elle attendit que la soldat lui dise un montant avant de faire une légère grimace.

« J'en ai dix sept. Ça te va ? » Ce calibre là ne courrait pas les rues ni le désert. Généralement, ils ne cherchaient même pas à en trouver et finissaient par tomber dessus par hasard. Les balles de revolver étaient beaucoup plus courants par exemple et elle en avait des brouettes et des brouettes. Raven se demandait si quelqu'un quelque part essayait de construire des munitions. La jeune habitante savait que le procédé était un peu compliqué et dangereux mais celui qui réussirait à produire une quantité satisfaisante pourrait sincèrement se faire un temple de capsules étoilées avec tout ça. Même si, finalement, ça ruinerait une partie du marché. La brunette lui demanda combien elle les lui faisait. Un rapide calcule lui indiqua « Sept capsules la munition... Étant donné la situation actuelle, c'est le prix le plus bas que je peux te faire. » La situation actuelle étant que les routes étaient bloquées, donc le commerce et donc le ravitaillement. Il y avait certainement des gens avec ce genre de balles dans le coin, mais encore fallait-il les trouver et négocier avec eux. Raven aurait pu encore être plus cruelle au niveau des prix, mais Phoebe avait l'air quand même sympa et si elle arrivait à al fidéliser elle pourrait avoir une cliente de calibres rares et chers à porté de main, ce qui n'était jamais négligeable étant donné les temps qui courraient.

Dix-sept balles. C'était moins que ce que je demandais, mais cela restait tout de même raisonnable en terme de quantité. Après tout, une balle était égale à un ennemi de l'ERGP en moins, donc une probabilité de nettoyer dix-sept cafards de la surface des Terres Désolées du Colorado. Je hochais de la tête pour lui montrer que le nombre me convenait, maintenant la question du prix.

L'asiatique prit une nouvelle fois la parole et me lâcha son prix. Sept capsules la munition. La demoiselle rajouta tout de même que la somme qu'elle me proposait était la moins chère qu'elle puisse faire en ces temps compliqués. Devais-je la croire ? La parole des marchands se devait d'être prise avec des pincettes, ces derniers seraient prêts à dire des mots que l'on aimerait entendre pour être sûrs que l'on revienne vers eux plus tard. Mais, pour une fois j'avais envie de penser le contraire et de croire que le geste symbolique que venait d'effectuer la jeune femme n'était pas un investissement sur du long terme. De toute façon, ce n'était pas sur moi qu'il fallait compter sur une fidélisation étant donné la réputation de mon partenaire Ajax de véritable Chat Noir puisqu'il enterrait au moins une fois par an le snipeur avec qui il faisait équipe. Enfin bref, cette transaction allait me coûter - les chiffres et moi nous n'étions pas vraiment amis... Punaise, le calcul aurait été plus simple avec vingt que dix-sept. Soit intelligente Phoebe, si j'en avais eu vingt, cela m'aurait fait, sept fois vingt, cent-quarante, puis j'en retire trois, trois fois sept, vingt-et-un, donc cent-quarante moins vingt-et-un, cent dix-neuf ! Le compte y était. « Cent dix-neuf capsules au total. » Disais-je avec un petit brin de fierté.

En lâchant le prix final, je refusais de tenter toute négociation sur la somme que Raven devait percevoir dans cette petite entreprise. J'acceptais son prix. De plus cela n'aurait sans doute servi à rien de tenter un rabais puisque ce n'était pas du tout ma voie à vrai dire, le marchandage et moi nous faisions deux, comme les mathématiques même si sur ce coup-là, j'avais vu juste dans mon calcul mental. « Ça me va. » Lançais-je pour conclure.

Maintenant que la transaction orale était achevée, il était temps pour nous d'aller à l'endroit où je pourrais récupérer mon dû. Mon DKS-501 toujours fixement bien attacher dans mon dos, je me tenais à la hauteur de la jeune demoiselle. Je ne savais pas trop quoi dire à la vendeuse n'étant pas une grande bavarde dotée en plus d'un caractère d'huitre refermée sur-elle-même, je n'étais pas la comparse idéale pour toute marche. Mais, je désirais faire un véritable effort en me prouvant à moi-même que je pouvais être pendant de courts instants un peu sociable. Donc, je décidais de lancer un sujet la première. « Tu n'as jamais été séduite par l'idée de rejoindre l'Armée Fédérale de l'ERGP ? » Peut-être n'avais-je pas choisi le bon thème, mais c'était le seul qui me venait à l'esprit et puis faire un peu de publicité pour notre armée ne faisait de mal à personne en fin de compte, même si cela pouvait être qualifiée de douce propagande.

Si ce trajet pouvait permettre de véhiculer de belles valeurs concernant le groupe militaire auquel j'appartenais, j'en serais très fière. Enfin, ce n'était qu'une question toute simpliste, il n'y avait aucune arrière pensé dans ma tête.