Gabriella attendait à Jericho depuis plusieurs jours maintenant, attendant patiemment que l’un des soldats ayant été envoyé en mission avec elle se rétablisse. Quel imbécile aussi. Jouer avec des Griffemorts… C’était saugrenu pour ne pas dire simplement con. Quand venait le soir, le sergent se plaisait à se rendre au bar auquel elle trouvait toujours cette sorte de réconfort qui devait compenser la concentration, l’intense conscience de tout ce quelle voyait la journée. Elle savait qu’elle était alors en droit de tout lâcher le soir, de laisser ses pensées vaquer à ses plus profonds démons. Il était agréable de se dire que le barman commençait déjà à la reconnaître. C’est parce que je ne passe pas inaperçu, se congratula-t-elle. En vérité, c’était surtout qu’elle devenait rapidement une bonne cliente. Jamais elle n’aurait cru se voir ainsi, toujours en quête de cette échappatoire qui monte à la tête le soir, fait dire des conneries juste avant de vomir. Quoi que, je ne vomis pas souvent, s’intima-t-elle. C’était plus ou moins vrai. Disons plutôt que rares étaient les fois où on avait l’occasion de la voir dégobiller. Elle se savait gradée, quelle image aurait-on eu d’elle en la voyant dans cet état, le visage collé sur le bitume, reposant dans on ne sait quelle mixture pas fraiche, la bouche ouverte ? Non. Ce n’était pas pour elle. Il était plus agréable de torturer tout son système digestif avec un alcool fort dont le passage incandescent vous enseignait les nœuds de vos entrailles jusqu’à les connaître par cœur.

Sentant que la tête commençait à lui tourner, elle songea à la mission qu’elle venait d’exécuter avec ses collègues. Enfin, presque exécutée puisque l’autre jumeau agonisait en ce moment même à l’hôpital. Tss… Quels gamins ces deux lorsqu’elle y repensait. Un léger sourire tordit sa bouche en songeant aux remontrances qu’elle allait leur faire subir une fois que numéro 2 (ou 1 d’ailleurs ?) serait sorti. Que de belles perspectives en vue… Enfin un nouveau meurtre, une torture par le langage, un assassinat par le discours sophiste d’une tireuse d'élite se lassant de ses propres balles pour faire du mal. Il lui tardait tout d’un coup.

Je devrais vous faire payer un verre sur deux avec ce que vous me rapportez en ce moment.

Soudainement, le barman l’avait interrompue dans ses songeries superficielles. Il la regardait amicalement, ayant sûrement pour intention d’être agréable. Après tout, cela faisait plusieurs soirs qu’elle venait, et il est tellement compliqué de trouver de la sympathie dans un bar comme celui-là, qu’elle devait bien représenter ces personnes arborant la tenue de l’ERGP, celles qui ouvrent à la confiance car elles représentent la défense de la justice. Cela devrait être ça, car ce n’était assez certainement pas le sourire qu’elle devait lui offrir qui pouvait le pousser à lui parler.

Agis plutôt que de parler alors, c’est pas la conversation que je paie, lança-t-elle, peu amène.

A ces mots elle envoya une nouvelle capsule sur le bar. Le barman sourcilla, haussa les épaules, et la resservit. Il devait bien s’en foutre au fond, elle devait bien être une des personnes les plus civilisées qui passaient par ici parfois, et puis bon, c’est pas avec de la politesse qu’on pouvait manger alors peu importait pour lui. A cet instant, il se détourna de la soldate pour sourire à un homme qui venait de s’assoir à côté d’elle. Oh pitié, par encore un de ces types lourds qui viennent la voir tard le soir. Elle n’en avait pas envie aujourd’hui. L’inspiration diabolique allait de nouveau refaire surface au besoin, non pas que ça lui déplaise au fond il faut dire. Toutefois voilà, l’homme ne lui jeta pas un seul coup d’œil dans un premier temps. Un brin étonnée, la jeune femme le fixa avec son coutumier regard glacial. L’esprit un peu embrumé, elle ne saisit pas les détails de la conversation entre les deux hommes mais, après une rapide analyse alcoolisée, le jeune homme assis à sa gauche passait un marché avec lui. Il lui vendait des choses… Le barman répondait un peu froidement, faisait la moue. Il ne semblait pas content.

Si vraiment ça ne te convient pas, je peux les vendre ailleurs, mais cette tequila, personne d’autre ne te la proposera…, dit le jeune homme.

Ca va c’est bon je la prends ! lança le barman, un tantinet agacé selon l'examen de la soldate.

A cet instant même, Gabriella ne put s’empêcher de remarquer un léger sourire remplie de satisfaction chez le marchant. D’ailleurs, il lui sembla qu’elle avait déjà vu ce sourire quelque part. Elle détailla alors son voisin avec plus d’attention, vraisemblablement trop puisque l’homme finit par tourner son regard vers elle, se demandant certainement s’il avait quelque chose sur le visage. Bien qu’elle ne soit pas le genre de femme à prêter grande attention aux individus qui l’entouraient lorsqu’elle n’était pas en service, elle resta persuadée d’avoir déjà aperçu cette face quelque part. Par ailleurs, il n’avait rien sur son visage. Vraiment rien. Les pensées floues, elle constata avec un ébahissement semblant presque horrifié de stupéfaction :

Mais… Tu es propre !

Jericho. Cette ville où James avait trouvé son salut en ce monde paradoxalement froid et chaotique. Cela faisait déjà quelques mois qu'il était arrivé ici. Cet endroit où il a appris à survivre. Aujourd'hui il devait ramener quelques marchandises alcoolisées à un barman qui en cherchait pour cause urgente de presque rupture de stock. Le jeune homme avait eut du mal à récupérer tout le stock qu'il traînait dans un grand sac de sport d'Avant-Guerre. Il avait aussi dut faire discret car ce genre de choses étaient très prisées parmis les drogués et rejeté de la communauté. Ils étaient prêt à tout pour s'en fournir. Même à tuer. Heureusement pour lui il n'avait pas eut de rencontre inattendue même si il suspectait quelqu'un de le suivre dans l'ombre. Avec précipitation, il rentrait dans le dis Bar pour écouler sa marchandise et récupérer un bon paquet de capsules avant de se faire accosté par des types peu recommandables.

L'établissement était assez illuminé mais peu de gens encore venaient y faire un tour à cette heure là. Surement du au manque d'alcool qui avait inexorablement gonflé les prix. Rare étaient les personnes qui avaient encore assez de capsules pour payer avec les nouveaux prix. James posait donc son regard vers le barman qui était en "pleine" discussion avec une femme. Sans y prêter attention, le jeune homme s'asseyait à côté puis entamait les négociations avec le barman.

- J'ai ce qu'il te faut, dit-il en posant son sac sur le comptoir. La qualité est bien meilleure que ce que tu vendais auparavant.

Le barman réfléchissait puis faisait la moue au vue du prix que lui annonçait James mais avec le peu de stock qui lui restait, le barman allait finalement finir par céder. Ce n'était qu'une question de temps.

- Si vraiment ça ne te convient pas, je peux les vendre ailleurs, mais cette tequila, personne d’autre ne te la proposera…, dit le jeune homme.

- Ca va c’est bon je la prends ! lança le barman.

James souriait. Visiblement content de son affaire, il sortait les bouteilles pour les tendre au barman qui lui donnait pas mal de capsules en échanges. Il avait encore deux ou trois bouteilles qu'il irait sans doute vendre dans un autre bar. A ce moment là, où il allait repartir vendre le reste, la femme posée à côté de lui l'interpellait.

- Mais… Tu es propre !

Intrigué par ce qu'elle venait de dire, il se tournait vers elle. Peu de gens prenaient la peine d'examiner la tenue des autres individus. Il lui avait fallu un peu de temps pour répondre, subjugué par la beauté de la jeune femme. Il était rare de voir des femmes aussi jolies qu'elle même si elle paraissait quelque peu éméchée. Il se ressaisissait pour ne pas paraître bête ou louche. Il sortait une cigarette, l'allumait puis soufflait un bon coup, recrachant la fumée dans la direction inverse à la jeune femme.

- Cela t'étonne tant que çà?

Cela t'étonne tant que ça?

Bien sûr que cela l’étonnait. Ne se faisait-elle pas la réflexion l’autre jour ? Et plein d’autres jours ? L’armée, ou du moins un bon nombre de ses membres, ne semblait pas mettre en priorité l’hygiène. Certes ce n’était pas toujours simple de se laver, voire inutile lors des missions où ils se traînaient tous dans la boue, finissant parfois couverts de sang. Peut être que Gabriella aurait dû faire part de son problème avec la saleté corporelle des autres. Ca ne devait probablement pas être normal venant d’une femme qui n’hésitait pas à en mettre un peu partout lorsqu’elle égorgeait un raider avec son poignard.

La jeune femme lança un regard peu amène à la cigarette, celle-ci lui faisant se remémorer un épisode, que faute de vouloir oublier, elle préférait néanmoins mettre dans un coin isolé de son esprit, là où personne ne pourrait le toucher ou l’entrevoir. Elle fixait ainsi la cigarette, espérant qu’elle se s'embrase elle-même sous l’effet meurtrier de son regard. L’autocombustion manquait dans ce monde. Quoi que, ça aurait été probablement elle qui aurait brulé si ça avait existé. Elle fut tentée de demander de tirer une bouffée seulement elle préféra grimacer, soudain prise de la crainte de ressentir un sentiment aussi désagréable qu’agréable du fait d’un souvenir heureux qui ne trouverait plus jamais son pareil. Malgré ces pensées, le sergent continuait de regarder la cigarette, comme si elle pouvait lui sauter à la gorge à tout instant.

Tu en veux ?

Le propre prononça des mots. Gabriella releva alors ses yeux vers les siens, levant un sourcil dédaigneux. Un peu prise de court et coupée dans sa minutieuse analyse de l’objet incandescent, elle n’avait su avoir de réaction plus convaincante, surtout étant donné qu’elle n’avait pas compris le sens de la question posée.

Hein ? demanda-t-elle alors.

Une taffe, tu en veux une ? Je te passerai pas une clope entière, mais je peux te laisser tirer dessus un peu, expliqua Monsieur Propre.

La soldate grimaça en comprenant enfin le sens de la demande. N’arrivait-il pas à lire la répugnance envers ce truc dans son regard, hein ? Ne pouvait-il pas deviner le cheminement de sa pensée qu’elle venait d’avoir ? C’était eut être un mutant après tout, il y avait des chances qu’il possède quelque pouvoir bizarre dus à des mutations génétique. Ca expliquerait certainement cette inhabituelle propreté.

Elle le détailla avec plus de minutie. Ses yeux étaient bleus, trop bleus. Son visage, ne portant aucune marque de salissure, semblait presque s’éclairer de lui même, peut être la source venait-elle des yeux ? Même ses dents étaient trop blanches derrière son sourire poli. Le sourire lui-même brillait trop. Bref, une bien désagréable illumination lorsqu’on était habitué à voir tant de couleurs charbonneuses. Les yeux de Gabriella lui piquaient presque sous cette apparence de pureté – à moins que ce soit l’effet de l’alcool ? Dans le doute, elle repoussa son verre. Était-il pur ? Si ce type lui semblait angélique, il allait falloir qu’elle se méfie, il y avait anguilles sous roche. Les gens jouaient de leur apparence, ils n’étaient que les acteurs d’un rôle qu’ils s’étaient attribués en voyant dans quel monde pourri il allait patauger. Et Monsieur Propre là, elle allait déterminer quel rôle il jouait. Quand bien même elle se tromperait, si jamais cet énergumène était vraiment un archange descendu de je ne sais où pour montrer aux autres à quel point ils sont crasseux, alors il ne savait pas dans quel endroit il avait mis les pieds. Alors était-il inexpérimenté ou seulement bon acteur ? Elle chercherait à savoir.

En attendant, elle détourna avec mépris son regard de l’homme et s’intéressa à son verre, buvant la dernière gorgée avec nonchalance.

J’ai une tête à fumer ? cracha-t-elle.

Déconcertant. C'était le mot juste pour qualifier la situation à laquelle était confronté le jeune voyageur maintenant qu'il avait rencontré cette femme. Il avait toujours croisé des femmes qui étaient en quelques sortes "soumises" à l'homme, des femmes qui restaient en retrait et mesuraient chacune de leurs paroles pour ne pas vexer la gente masculine dans sa fierté. Mais elle, elle était différente. À peine quelques regards et de brèves paroles avaient suffit à James pour savoir que l'inconnue n'était pas facile à vivre au quotidien. C'était dommage au vue de son physique plus qu'avantageux. Un corps d'ange contenant le démon. L'image était sans doute un peu trop forcé mais James ne pouvait pas trouver quelques chose qui irait mieux pour illustrer par un exemple.

Alors qu'il allait s'assoir pour continuer la conversation, son interlocutrice lui répondait d'un ton qui ne laissait place à aucune sympathie. Tellement que James n'avait l'envie de poursuivre de vaine parole qui ne le mènerait qu'à une finalité chaotique. Il prenait donc son sac avec les quelques bouteilles qui restaient avant d'ajouter :

- Bon je crois bien que je vais m'en aller. Un ton plus sympathique aurait été de bonne augure surtout que je n'ai aucune intention malveillante envers vous. Soit je ne vais pas vous faire perdre votre temps plus que ça. Je retourne vendre ce qu'il me reste de marchandises.

James tirait une taffe très lentement, espérant secrètement que la jeune femme l'arrête avant qu'il s'en aille du bar. Les gens différents comme elle étaient rares dans les Terres Désolées alors même si elle n'était pas enclin à être gentille avec lui, il voulait quand même s'intéresser à elle. Cependant il n'allait pas changer d'avis et rester, faire le gros lourd de service quoi. Pour qui il passerait sinon? Non. Ce devait être qui veuille commencer et tant pis si elle ne le fait pas. James se porterait toujours aussi bien.

Alors que le jeune homme écrasait sa cigarette à l'aveugle pour l'éteindre, il lançait un regards dont les détails ne pouvaient être déchiffrer que par la jeune femme. Dans tout les cas, ce regards n'avait pas pour but de la laisser indifférente. James saluait le barman, se préparait une dernière fois et entamait sa sortie du bar.

- Bon je crois bien que je vais m'en aller. Un ton plus sympathique aurait été de bonne augure surtout que je n'ai aucune intention malveillante envers vous. Soit je ne vais pas vous faire perdre votre temps plus que ça. Je retourne vendre ce qu'il me reste de marchandises.


Cela était assez fréquent que les gens lui parlent sur ce ton et elle savait que son comportement peu aimable n’était pas innocent. Mais il fallait dire au fond qu’elle s’en fichait pas mal. Ce qui était étrange en fait, c’était de constater dans le regard du type qu’il avait cet intérêt que d’autres laissaient transparaître en lui parlant, seulement, il s’en allait. Et voilà, le souci et que lui, il s’en allait vraiment, pas de feinte, pas de test apparent. Il écrasa sa cigarette sans se retourner, salua le barman et tourna les talons. Peu lui importait de coutume. Mais l’homme avait quelque chose d’intéressant –mis à part le fait qu’il était propre et ce n’était pas négligeable. En effet, il semblait avoir des choses à vendre. Et puis, après tout, il avait la tête d’un pauvre ange tombé dans que je ne sais quel trou.

Qu’est ce que tu vends ? l’interpella-t-elle alors qu’il s’éloignait.

Il y avait un certain temps qu’elle n’avait pas acheté un nouveau jouer pour son joli calibre. Et tant qu'elle était là, pourquoi ne pas en profiter? Elle savait que pour son bijou elle était prête à dépenser une fortune, alors avec un taux d'alcool surélevé dans le sang... Elle pouvait bien faire un heureux.

Ca dépend de ce que vous voulez, répondit-il en se retournant vers elle de façon nonchalante.

Des choses que tu n’as peut être pas mais qui peuvent beaucoup te rapporter si jamais tu les dégotes quelque part. J’ai une arme, un DKS – 501, qu’est-ce que tu as à me proposer pour ça ? expliqua-t-elle d'un air un peu plus avenant, l'intérêt soudain émoustillé.

Le jeune homme la regarda avec un air indescriptible, voire inexpressif. Il ne fut d’aucune façon possible à la soldate de savoir ce que pouvait bien cacher ce regard impassible. Elle craint qu’il finisse par partir pour de vrai à force de rester planté là. La jeune femme décida alors de prendre les devant et même consentir à un peu plus d’amabilité, une fois n’était pas coutume. Par conséquent, Gabriella rajusta ta posture : affichant un léger sourire, elle planta ses yeux dans ceux de l’homme.

Allez vient te rassoir, lui dit-elle, je t’offre un verre pendant qu’on voit tout ça. Après tout, tu es propre, ce qui est déjà tellement rare ici que tu dois bien avoir quelque chose qui pourrait m’intéresser chez toi, et puis tu as une apparence différente des autres alors je partirai du principe que ton esprit suit le même chemin. Espérons juste que je ne me trompe pas, voilà tout.

Et une nouvelle et horrible fois, elle lui retourna un nouveau sourire. Qu’est-ce qu’elle n’était pas prête à faire pour son DKS – 501... Elle sourit intérieurement en songeant à ceux qui disaient à qui voulait entendre que les femmes ne savaient pas faire de sacrifices par amour.