« He ben maintenant tu sauras qu'il ne faut pas te goinfrer de tout ce que tu trouves ! » Elle referma la porte de la petite chambre avant de se diriger vers la sienne. Encore un jeune qui s'était laissé tenté par le garde manger ou qui avait trouvé quelque chose, dehors qui lui avait attisé l’appétit. Avec le régime alimentaire que les Gormogons avaient, il n'était pas inhabituel que certains tombent malades. Après tout, les victimes qu'ils capturaient avaient elles aussi des maladies et malgré le fait qu'ils faisaient presque toujours bouillir la viande, il y avait des saloperies qui semblaient toujours passer. Ca arrivait encore plus quand ils avaient été obligé de substituer leur régime habituel à un autre. Les estomacs les moins solides peinaient à digérer pendant quelques jours. Dans ces cas là, il était toujours utile d'avoir un médecin à peu près érudit dans le coin. Le temps et les occasions avaient amené Gabriel au ranch. Par tradition, les Gormogons ne mangeaient que les humains. Ses parents lui avaient dit à l'époque que les goules étaient des humains pourris qui semblaient avoir une viande toxique. De plus, l'aspect peu ragoûtant qui les caractérisait, vivants, ne donnait pas envie de voir ce qu'il en était dans l'assiette une fois mort et bien grillé. Non, décidément, Gabriel n'avait rien eu à craindre en venant dans les environs du ranch. De plus, il s'était révélé être une personne d'une grande gentillesse et d'une grande intelligence. Ce qui manquait dans les environs. Daisy-May éprouvait un amour infini pour sa famille, elle serait prête à toutes les folies pour les garder en sûreté. Mais il y avait assez peu de personnes très maligne dans ses rangs. Il y en avait, des brillants, des astucieux, des forts... Mais à force de voir toujours les mêmes têtes, Daisy avait l'impression de finir totalement folle. Gabriel servait ainsi un double rôle, un médecin qui s'était bien évidemment rendu compte de ce qui se tramait mais qui avait promit de ne rien dire : probablement pour sa sécurité et aussi pour ses affaires. Les Gormogons payaient le médecin en repas agréables à leur table et en divers objets qu'ils trouvaient sur leurs victimes. Bien évidemment ils évitaient ce détail mais la goule était assez intelligente pour savoir d'où venaient ces objets du ranch de Ken Caryl. Les affaires étaient bien huilées et tout le monde y trouvait son compte.

Arrivée devant sa porte, elle héla un de ses cousins dans le couloir et lui demanda d'aller chercher Gabriel pour l'amener dans sa chambre. Puis elle entra dans la pièce. Les chambres du ranch étaient assez spartiates en général. Généralement, chaque zone du ranch était partagé entre les familles. Il y avait des dortoirs pour les jeunes, des chambres doubles pour les couples et des chambres à lits superposés pour les adolescents et jeunes adultes. Les personnes âgées se voyaient réserver les meilleures chambres, plus grandes et plus proches de la cheminée centrale. Celle de Daisy-May était au troisième étage et sa fenêtre portait sur l'entrée du ranch histoire d'avoir un œil sur les entrées et sorties quand elle en avait envie. Elle s'installa et observa ce qui lui servait de « bibliothèque ». Bien évidemment, des gens ayant une collection plus complète auraient bien rigolé en voyant les maigres rangées de livres accumulées dans des étagères de fortune. Plus de la moitié de ses livres n'avaient pas toutes leurs pages, certains étaient dans des langues étrangères que Daisy ne comprenait pas et d'autres avaient été rongés par les champignons. Mais elle en était fière. D'ailleurs, une des stratégies connues pour s'attirer les grâces de la matriarche était de lui apporter de la lecture, n'importe quoi. Certains gosses du ranch étaient même venus lui donner des étiquettes trouvaient sur de vieilles conserves.

S'installant ici, elle ouvrit une bouteille d'alcool. Ce n'était pas un alcool fin et raffiné comme il avait pu y en avoir il y a très longtemps. Non. Ils distillaient grossièrement des aliments qu'ils avaient en grande quantité et ils se retrouvaient avec des bouteilles d'un liquide puant et bien souvent incroyablement amère. Mais qu'importe, les adultes s'en contentaient et ils en revendaient quelques fois à des voyageurs qu'ils n'avaient pas pu tuer. Se servant un verre et en servant un deuxième, elle les posa sur sa table basse faite de morceaux de métal rassemblés. Son parfum était plus fort encore dans cette pièce et elle s'était tellement habituée à cette odeur qu'elle ne le remarquait même plus...

La goule, bien élevée, bien mieux élevée que pas mal de voyageurs qu'elle avait pu croiser et qui se seraient volontiers définit comme très civilisés, toqua respectueusement en attendant la réponse de Daisy-May. « Entrez donc ! » Lorsque la goule arriva, elle lui sourit. Il n'y avait qu'une fois vieux et ridés qu'on comprenait que l'apparence n'était pas grand chose dans le spectre de la survie. Si les personnes avec une gueule d'ange avaient tendance à plus facilement acquérir la confiance des gens, ils mourraient aussi rapidement qu'une personne laide sauf que les ridés et les goules, eux, portaient sur eux le signe de la survie et du combat : pour en arriver là, aussi âgés ou aussi goulifiés, ils s'étaient battus et avaient survécu à des centaines d'aventures. Bon, les aventures de la vieille matriarche n'étaient pas très héroïques pour la plus part et elle était rarement sortie du périmètre du ranch, mais tout de même, elle avait assez d'histoires dans sa poche pour ne pas se répéter éternellement auprès des jeunes Gormogons. Gabriel lui confirma que tout irait bien avec le jeune Bill et surtout, qu'il avait apprit une douloureuse leçon. Mais ça marchait comme ça de toute façon. De manière douloureuse. Surtout avec les enfants et les adolescents. A moins qu'ils ne voient concrètement la conséquence des actes interdits ou qu'ils en subissent les horribles conséquentes, c'était des paroles en l'air ! La vieille dame avait l'impression que quand elle était jeune, c'était « mieux » mais quelque chose lui disait qu'elle avait été assez dure à cuir aussi à son époque. Elle acquiesça et ponctua d'un « Parfait. Ça lui apprendra. »

La goule esquissa une main en direction du second verre et la dame hocha la tête pour confirmer que c'était bien son verre. Elle but aussi une gorgée à la suite de Gabriel et prit un peu de temps pour laisser l'alcool couler dans sa gorge. Elle n'était pas aussi rapide qu'avant, et surtout elle supportait moins bien. L'alcool, outre le fait de la rendre saoul et malade, lui embourbait les articulations et lui rendait le souffle court. Ainsi, elle faisait toujours attention à ne pas en boire trop. A son âge, ce genre de mélange fait des ravages surtout avec la chaleur. La goule interrogea alors la matriarche sur les dernières nouveautés au ranch. La vielle dame indiqua un siège en face d'elle « Asseyez-vous donc ! » Puis elle but une nouvelle petite gorgée avant de reprendre « Hum pas grand chose... Il y a assez peu de voyageurs ces derniers temps. Plus des caravanes marchandes vous voyez ? Je crois qu'il y a des raiders dans les environs alors les gens font des détours. C'mauvais pour les affaires mais bon. Si j'ai bien apprit quelque chose avec mon âge c'est que ça dure jamais longtemps et quand les environs seront un peu plus sûrs, les gens vont se précipiter chez nous ! Et vous, les affaires, ça va comment ? » Il n'y avait jamais grand chose à raconter ni à partager dans ces périodes, mais à la limite elle avait bien de petites anecdotes sur les voyageurs des fois très particuliers qui venaient dans le coin. Entre les situations incongrues et les affrontements qu'ils avaient quelques fois avec des animaux ou des voyageurs hostiles, il y avait de quoi faire, mais les histoires datant des dernières semaines ne seraient pas bien palpitantes, son visiteur serait très déçu.

Gabriel ironisa pas mal sur la situation incongrue que les Gormogons rencontraient quelques fois. En effet, une famille dangereuse sous des apparences d'enfants de chœur qui se faisait piétiner par des raiders drogués qui n'étaient, pour la plus part, pas capables d'aligner deux mois sans se mettre à rigoler de manière stupide, c'était un petit peu ridicule et Daisy-May l'avouait bien volontiers. Mais le problème était encore qu'ils étaient imprévisibles et qu'il était assez difficile de raisonner avec eux ou d'établir des stratégies d'attaques sur le long terme. Heureusement, les assassinats nocturnes, une lame dans la gorge, c'était toujours rapide et les raiders avaient très peu de sentiments les uns pour les autres ; ainsi la disparition de l'un de leur groupe ne provoquait jamais de grosses paniques. Elle sourit et ricana un petit peu en répondant « On aime bien aider au ranch vous savez ! » Ha ça oui, et cette réplique prenait un double sens quand on savait que la nourriture préférée des Gormogons était précisément les gens qu'ils semblaient aider.

Après, la goule lui raconta sa petite aventure avec un groupe de raider. Daisy, bon publique, ponctua son récit par des « Ha ? » et des « Ho ! » aux moments étonnants et effrayants de son histoire. Elle hochait la tête tout en buvant des gorgées de son alcool, ne perdant pas une miette de son récit. Les histoires des autres étaient comme des chapitres d'un immense livre dont on ne pouvait pas perdre les pages. Une fois qu'on connaissait le récit, il restait à jamais gravé dans la mémoire et ça, c'était divinement bon. Cette histoire de raider au grand cœur laissa la matriarche un peu rêveuse. « En effet voilà un personnage très étrange... » Pourquoi un type qui avait encore un peu de cervelle en état de marche et un cœur pas tout à fait atrophié se mettait-il à traîner avec la pire espèce de meurtrier du coin ? Une envie d'aventure ? « C'est bien singulier ce que vous me racontez. Pensez-vous qu'il vous ai trouvé sympathique ? Remarquez, si il cherchait des amis, que ferait-il avec de tels sauvages ? Il ressemblait à quoi ce garçon ? Avait-il l'air un peu... Arriéré ? » Un handicap mental pouvait éventuellement expliquer les choix étranges qu'il avait fait et potentiellement son empathie soudaine et inespérée.

« En tout cas c'est très bien qu'ils vous aient épargné ! Qu'aurais-je fais sans vous ? Je ne suis pas sûre que des goules médecins aussi charmantes que vous traînent autant dans le coin ces temps-ci ! Trouvez vous une femme et faites donc des enfants pour leur inculquer vos belles manières et ramenez-les chez moi tient ! Ça me fera du changement avec les jeunes du ranch, ces ingrats...» Qu'est ce qu'elle voudrait en balancer par les fenêtres quelques fois ! Et ces cousins, cousines, oncles, tantes, frères et sœurs qui ne savaient pas les tenir ! Comme si elle avait encore l'âge pour tout ça !