Qu’il était bon de profiter d’un peu de repos dans un vrai lit, enfin ce qu’il en reste, et en plus de se trouver sous un toit et entre quatre murs. Comanche avait eu du bol sur ce coups-là, il fallait bien l’admettre ; que cette baraque abandonnée soit encore dans un état potable tenait déjà de l’impensable, mais qu’il puisse y trouver de quoi dormir, jamais il n’aurait espéré ça ! Bon ok, on était peut-être en plein milieu de la journée, mais à force de passer son temps à marcher marcher marcher, il y a un moment où il faut dire stop et se poser quelques heures afin de recharger ses batteries, et c’est bien ce que notre ami avait l’intention de faire ; profiter du calme tout relatif de l’endroit pour piquer un petit roupillon, tout en restant un minimum attentif cela va de soi.

Ayant pris possession de l’étage de la bicoque, Comanche s’était installé dans une chambre donnant sur ce qu’il restait d’une ancienne rue, ainsi il pourrait tout de même jeter un œil de temps à autre sur les alentours et réagir en cas d’attaque surprise ou bien de visite inattendue, faut dire qu’on ne sait vraiment jamais sur qui on va tomber dans ce monde, avec tous les détraqués qui parsèment la terre à l’heure actuelle on est jamais trop prudent, ça c’est certain. Coup de bol le matelas ne semble pas trop bouffé par la vermine et il fait encore assez chaud pour se passer d’une éventuelle couverture ; usant de son sac comme d’un oreiller de fortune, il s’allonge sur le lit tout en croisant les mains derrière la tête, observant les nombreuses fissures qui parsemaient le plafond juste au-dessus de lui ; cette bâtisse ne tiendrait plus des années avant de s’écrouler sur elle-même se dit-il.

-Du moment que ça me tombe pas sur la gueule pendant que je pionce…

Oui, ça lui arrivait parfois d’avoir des réflexions à voix haute, car à force d’être seul, on en oublierait presque le son d’une voix humaine. Et tandis qu’il continuait sa contemplation du plafond, ses yeux commencèrent à se fermer doucement, tout doucement…

-Ces marchands ont sûrement du matos intéressant, alors évitez de tout démolir en attaquant.

Le chef venait de donner ses directives, du moment qu’il n’y avait pas de casse ses hommes pouvaient tuer comme bon leur semblait, et c’est ça qui était sympa, pouvoir buter des gens. Les nombreuses silhouettes dont le groupe était formé s’approchaient à présent en silence du convoi de marchands qui avaient fait halte un peu plus loin. Sûr que ça allait leur rapporter gros, généralement ce genre de raid était bien lucratif. Voilà, le moment de passer à l’attaque est venu, ces pauvres bougres vont pas comprendre ce qu’il leur arrive !

-Comanche, fait gaffe !

Trop tard, Comanche fait déjà face au canon scié pointé sur lui, il n’arrive pas à distinguer le visage de la personne qui pointe l’arme sur lui, mais c’est certain, ça va faire très mal ; le coup de feu retentit alors…

Et d’un bond Comanche se redresse dans le lit, les yeux écarquillés et la respiration haletante ; encore ce foutu rêve, toujours le même, l’attaque, le coup de feu… Il le connaît par cœur à présent mais il n’arrive toujours pas à savoir ce que cela signifie bien qu’il ait quelques doutes à ce sujet. Un cri de douleur lui parvient alors, est-ce que le coup de feu de son rêve était en réalité un véritable bruit d’arme à feu ? Ni une ni deux le voilà qui jette un œil à la fenêtre afin de savoir de quoi il retourne. Il ne lui faut pas longtemps pour apercevoir non loin de la maison où il se trouve un homme au sol, apparemment blessé, et une femme armée qui s’approche de lui. Pas le temps de chipoter ou de réfléchir, ce pauvre type va sans doute se faire saigner si personne ne fait quelque chose.

-Jamais tranquille…

Quittant la maison sans trop de précipitations, Comanche s’approche du petit groupe formé par la future victime, son agresseur féminin et un troisième type qui vient de faire son entrée, sans doute le copain de la donzelle au flingue.

Deux contre un c’est plutôt lâche comme manière de faire, il est grand temps de rééquilibrer les forces. S’approchant à pas de loup du petit groupe assez hétéroclite, Comanche ramassa sur le chemin une pierre d’une assez jolie taille qu’il tint fermement entre ses doigts, prête  à être lancée.  Bon, la gonzesse vient de foutre une gifle à sa pauvre victime, il est temps de faire son entrée.
Alors que la vie de notre pauvre homme ne tenait plus qu’à un fil plutôt mince, le cri d’un piaf retentit et le bruit sourd d’un choc plutôt violent le suivit de très près. Qu’est-ce qu’il venait de se passer ? Oh eh bien disons que Comanche avait juste gentiment envoyé son caillou à la rencontre du nez de l’acolyte de notre pilleuse, et le craquement que cela produit ne faisait aucun doute sur l’état du nez en question à présent. Maintenant qu’il était annoncé, il s’approcha un peu plus, réajustant ses lunettes de soleil du bout de son majeur.

-J’ai comme qui dirait l’impression que ce qui se passe ici n’est pas vraiment une simple discussion entre vieux amis, je me trompe ?

Il jeta un coup d’œil au type qui se tenait le tarin en jurant de manière fort fleurie et en essayant de contenir l’écoulement sanguin qui découlait de sa rencontre avec la pierre lancée plus tôt, son regard passa ensuite sur le type au sol qui était blessé à la jambe mais qui pourrait sans doute s’en tirer si on ne tardait pas à le soigner, et enfin il posa les yeux sur la demoiselle armée jusqu’aux dents qui ne semblait pas très jouasse de le voir arriver et mettre en l’air sa petite partie de pillage improvisée. Elle avait déjà un bel avantage sur lui, son arme était déjà dans sa main, alors qu’en ce qui le concernait, notre cher Comanche n’avait pas jugé utile de sortir son revolver du holster dans lequel il se trouvait toujours. Qui sait, peut-être arriverait-il à trouver une solution pas trop violente à cette situation, bien que cela lui paraisse être pas trop possible pour le coup. Histoire de pouvoir réagir en cas d’attaque de la part de la demoiselle, Comanche posa sa main droite sur sa ceinture, juste à côté de son flingue, prêt à dégainer.

-Alors moi, ce que je propose, j’emmène ce monsieur se faire soigner rapidement et vous deux, eh bien vous passez votre chemin et vous allez redresser le nez de ton pote. Comme ça tout le monde est content et on se quitte bons amis, t’en penses quoi ?

Mais oui, c’est certain qu’ils allaient accepter une telle offre, bien sûr…

Bon, attirer l’attention de ces deux personnes, c’était chose faite, bien qu’il est vrai que la manière n’était sans doute pas vraiment appropriée à la situation ; mais sincèrement, y avait-il une meilleure solution ? Enfin soit, à présent l’attention du duo de brigands était totalement portée sur Comanche, ainsi qu’une arme à feu pour le coup, c’était à prévoir. Monsieur j’ai le nez qui pisse le sang ne semblait vraiment pas jouasse et si il avait eu la capacité de tuer les gens d’un regard, notre cher ami serait mort un nombre incalculable de fois en l’espace de seulement quelques secondes. La demoiselle quant à elle fit bien comprendre à notre héros du dimanche qu’un geste malheureux de sa part aurait pour seule finalité que son cadavre rôtissant au soleil en compagnie de la victime déjà présente. Il leva doucement les mains en affichant un léger sourire en coin, histoire de calmer un peu le jeu.

-Ok, ok ; pas la peine de me pointer avec un flingue, suffit juste de demander gentiment.

Ca va être facile de venir en aide à ce type sans pouvoir s’avancer ne serait-ce que suffisamment pour mettre hors d’état de nuire nos deux loustics, m’enfin faudra faire avec. Tout comme il l’avait imaginé, sa gentille petite proposition n’eut aucun effet sur les deux sbires, ils ne voulaient pas lâcher l’affaire, encore moins après que l’un deux se retrouve avec un nez en patate ; mais il semblait que la donzelle, qui devait être le chef de ce petit duo tout à fait charmant, aie une meilleure idée que celle de Comanche, enfin c’est ce que ce dernier pu comprendre au vu du sourire de tarée qu’elle afficha, mais cela ne laissait rien présager de bon.

Et la proposition ne tarda pas à arriver. Echanger sa vie contre celle d’un parfait inconnu ? Voilà qui est plutôt gonflé comme demande, d’autant que la plupart des gens refuseraient et fonceraient dans le tas tête baissée pour montrer de quel bois ils se chauffent ; oui mais Comanche n’est pas comme la plupart des gens, non, lui il est plutôt du genre à protéger les autres au péril de sa propre santé, et puis il aurait sans doute plus de chance face à ces deux personnes que leur victime blessée. Mais n’allez pas croire qu’il allait juste accepter et venir gentiment mettre sa tête sous la godasse de mademoiselle je marche pas droit, et que pendant le même temps l’autre tête de brute flingue le type dont la vie ne tenait plus à grand-chose à l’heure actuelle. Non, il fallait qu’il y ait tout de même une petite négociation sur ce point.

-Eh bien, on peut dire que vous êtes du genre dur en affaire tous les deux…

Il fit une petite pause, en profitant pour réajuster ses lunettes de soleil du bout de son index tout en levant les yeux vers le ciel. Mouais, c’est une belle journée pour risquer sa peau.

-Vu qu’il me semble ne pas trop avoir le choix, j’accepte le deal, je prends sa place.

Et là, avant que les deux gredins ne crient victoire, Comanche reprit la parole.

-Mais je veux d’abord que ce type soit bien loin d’ici avant de faire quoi que ce soit. Et n’essayez pas de me jouer un sale tour, sans quoi je vous loge une balle dans la tête à chacun avant même que vous n’ayez le temps de faire quoi que ce soit d’autre, c’est clair ?

Et ces mots à peine prononcés, Comanche dégaina prestement son fidèle Raging Bull, leva rapidement le bras vers monsieur saignement de nez et tira ; la balle entra en contact avec l’arme de ce dernier dans la seconde qui suivit, la faisant lâcher par ce dernier. Gardant son armé pointée sur l’acolyte de la demoiselle avec un léger sourire, il jeta un coup d’œil à son interlocutrice principale.

-Et ça c’est juste un échauffement… Alors, deal ?

Spoiler:

« Dur en affaire ? J'te rappelle que c'est toi qui nous empêche de faire notre boulot correctement. C'est la mode ça, et que j'te fais le gentil et que j'te sauve des inconnus. Bon sang mais il vous prend quoi ? A part risquer votre vie pour des celles qui ne valent rien, dans un monde qui ne vaut rien. Pourquoi ne pas laisser les choses tourner comme elles sont jusqu'à ce qu'enfin tout homme soit mort en cette planète ? Tu sais quoi, les gens dans ton genre me filent la gerbe. Ouais. Plus que les raiders qui passent leur temps à piller. Car y'a plus rien à sauver dans ce monde. Y'a plus de place pour l'empathie, la compassion ou la pitié. Plus de place pour la générosité. Trouve-toi une gonzesse à baisser, une bicoque dans un endroit sûr et fous-nous la paix. » Rose termina sa tirade d'un geste de main, comme pour dire va-t-en. Mais bien sûr, elle ne pensait pas que cela allait avoir de l'effet, c'était juste un coup de gueule qui se devait de sortir, et diantre, qu'est-ce que ça soulageait.


    Quand la personne en face d'elle répondit, ce fut pour accepter sa proposition. Elle se demandait si elle devait être étonnée ou non. Ce qu'elle venait de dire n'avait eu strictement aucun effet, et ce monsieur était toujours déterminé à sauver la vie de cet ex-futur borgne. Mais avant que Rose ou Eddie ne put répondre, il continua.


« -Mais je veux d’abord que ce type soit bien loin d’ici avant de faire quoi que ce soit. Et n’essayez pas de me jouer un sale tour, sans quoi je vous loge une balle dans la tête à chacun avant même que vous n’ayez le temps de faire quoi que ce soit d’autre, c’est clair ? »


    Pas bête le type hein ? Il avait de la suite dans les idées du moins. Cependant, cela les menait droit dans une impasse, qui pourrait très vite dégénérer en coups de feu et bains de sang. Et Rose, même dans un état second gardait son intelligence cruelle. Il n'était pas difficile de voir où il voulait en venir et...
Un coup de feu fut tiré. Le cœur de Rose se mit à battre à plein régime, elle regarda vers Eddie et... Dieu merci, il allait bien. Seule son arme gisait quelques mètres plus loin, étrangement en plutôt bon état. Ce sauveur inconnu était doué avec une arme. C'était à noter. Elle changea de cible pour pointer sa propre arme sur l'homme le plus dangereux.


« -Et ça c’est juste un échauffement… Alors, deal ? »



    Eddie lui était resté calme, immobile, la tête baissée. Il ne fallait jamais énervé Eddie. C'était un homme plutôt posé, et la plupart du temps c'est lui qui calmait Rose lors de ses crises. Mais quand-lui même se laissait aller à des accès de colère. Il pouvait convaincre le diable de se foutre le feu au cul. Rose sourit en voyant Eddie ainsi mais espéra également qu'il n'allait pas faire de connerie au mauvais moment.


    Même si leur position n'était pas optimale, Rose possédait un avantage que son ennemi ne soupçonnait pas. Un faucon dressé pour tuer, juste au-dessus de leur tête. Et Ote était beaucoup plus intelligent que ce qu'on ne pouvait en attendre d'un pauvre piaf, si-fait.


« T'aimerais pas avoir à nous tuer hein ? Non, bien sûr. Tu l'aurais déjà fait sinon. Et j'suis pas bête non plus. J'vais le laisser partir ton bonhomme, et tu vas t'approcher gentiment, en lâchant ton arme. J'te conseille pas de me défier, on verrait qui est le plus rapide de nous deux. Tentant non ? Mais on n'en arrivera pas jusqu'à là, n'est-ce pas ? Et regarde ce que t'as fait de mon pote. Heureusement que tu l'as désarmé, toi t'aurais plus de crâne à l'heure qu'il est. »
    Eddie releva la tête vers l'inconnu. Puis se dirigea vers leur ancienne victime, toujours face contre terre et semi-sanglotante. Il la releva par le col et lui cria de dégager. En se mettant dans l'angle mort derrière Rose, à l'abri de la vu de son ennemi, il ramassa le revolver que son amie avait dégagé quelques minutes plus tôt et que leur victime avait failli utiliser et le coinça entre son pantalon et ses fesses, prêt à dégainer au moindre instant. Il se releva alors tout doucement, toujours derrière Rose, et attendit.


« Allez. Ton p'tit protégé est parti et à la moindre connerie j'ai deux jokers. Tu tenterais pas le diable hein ? » dit-elle, tout sourire.

La tirade de la jeune femme sembla laisser Comanche de marbre, beaucoup de personnes lui avaient déjà servi le même discours à maintes reprises, mais jamais cela ne l’avait détourné de sa voie. Ce n’était certes pas de tout repos, il fallait se mesurer à de vraies brutes sanguinaires ; mais il y avait aussi la satisfaction de voir des gens vivre en communauté dans le but d’améliorer le quotidien du plus grand nombre. Il esquissa un léger sourire, joli monologue mais il n’adhérait pas vraiment avec le point de vue de la donzelle.

L’acolyte de notre folle furieuse était étrangement calme depuis que son flingue lui avait échappé des mains. Le calme avant la tempête ? Possible, valait donc mieux garder un œil sur ce phénomène, histoire de ne pas avoir de mauvaise surprise au mauvais moment. Mais il restait surtout à voir si la proposition de Comanche allait être acceptée ou pas.

A son grand étonnement, son adversaire comprit avec une grande facilité son leitmotiv, tout faire pour ne tuer personne. Elle avait raison, si il l’avait voulu il les aurait tué tous les deux avant de venir en aide à la pauvre victime, ça aurait été beaucoup plus simple et rapide, mais pourquoi tuer gratuitement ? Voilà qui n’était pas vraiment pour arranger ses affaires, sachant qu’il éviterait autant que possible de les tuer, notre chère amie et son collègue avaient maintenant un net avantage sur Comanche car eux n’hésiteraient pas à le tuer. Il faudra la jouer fine.

Etonnemment, le pauvre homme qui avait eu le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment fut relâché. L’homme du duo remit prestement sur pieds sa victime avant de lui hurler au visage de dégager les lieux. C’était quelque part un soulagement pour Comanche de savoir cet homme en sécurité à présent, au moins dans le pire des cas il n’y aurait pas de victime innocente. Une fois seul en compagnie de ses nouveaux copains, il fut cordialement invité à s’approcher et à lâcher son arme afin de remplir sa part du marché. C’était en général un homme de parole, mais il y avait tout de même des limites à ne pas dépasser.

Il fallait qu’il trouve le moyen de se sortir de ce merdier, mais comment ? La gonzesse était toujours en possession de son arme mais combien de munitions possédait-elle encore ? Le barillet de son pistolet était-il remplit à moitié ? Complètement ? Si c’était le cas elle avait encore six coups à tirer, une balle de moins que Comanche, ce qui n’était déjà pas si mal compte tenu de la situation.

-Tout bien réfléchis, j’ai pas tellement envie de me jeter dans la gueule du loup ; je tiens toujours parole d’ordinaire mais là, c’est juste impossible.

Dit-il en souriant légèrement et en haussant les épaules, voyant bien que ces mots ne plaisaient absolument pas à ses interlocuteurs qui tiraient déjà la gueule. Mais avant que tout ne partes en sucette, il reprit la parole.

-Mais je suis pas chien, c’est pourquoi je vais vous filer des capsules histoire que vous ne repartiez pas bredouille ; jpeux vous en donner vingt-cinq et comme ça on est quittes, ça vous branche ?

Pas sûr mais c’était à tenter, d’autant qu’en général les gens comme eux ne crachent pas sur des capsules facilement gagnées, d’autant que chacun éviterait ainsi de se prendre une balle en cas d’affrontement. C’était un marché honnête, mais peut-être trop honnête pour les deux bandits.

-Alors, qu’est-ce que vous en dites ? Vous avez vu de quoi je suis capable avec un flingue et, bien que j’évite de tuer la plupart du temps, il m’arrive de ne pas avoir le choix… Donc acceptez ces capsules et on en reste là.

Il resserra les doigts de sa main autour de la crosse de son revolver, son index effleurant la détente à plusieurs reprises, il était prêt à réagir et à riposter au moindre mouvement suspect des deux personnes qui lui faisaient face.

 Quand Rose entendit la réponse de l'intrus, elle pencha la tête. Son sourire oscillait entre le malsain  et la curiosité. Il tenait vraiment à tenter le diable. Sauf que Rose n'allait plus rire longtemps, Eddie encore moins. D'ailleurs, elle ne savait pas du tout de quoi était capable son ami sur le moment actuel. Quand Eddie se mettait en colère, cela pouvait être pire que Rose. Il aurait fallu le voir le jour où tout le bouquet est mort, comment il s'acharnait sur les pauvres cadavres des ennemis. Il en parle moins que Rose, mais cette défaite lui est tout aussi lourde.

  Pas un chien, qu'il a dit. Ca, ça se discute, songea Rose. Après tout il les avait empêchés de prendre leur lot de plaisir pour la journée. Juste pour ça, ça devait être un chien. La fleur n'en pouvait plus de ces pseudo-héros des temps perdus. A chaque fois qu'elle en eut croisé un, sa seule envie était de lui faire bouffer la poussière du sol pour lui rappeler quel goût à le monde depuis l'hiver nucléaire, et qu'il n'y a pas de place pour de héros sur une terre qui n'est que désolation. Pourquoi risquer sa vie inutilement pour sauver celle des autres ? Elle était persuadée que la moitié des habitants des terres dévastées ne voulaient qu'une chose : mourir. Mourir ou en tout cas, ne plus vivre en ce monde. La nuance est là, mais le résultat est le même. Elle par exemple, elle sait très bien qu'elle finira par mourir à cause de ses actions. Si tous ses amis eurent péri d'un seul coup, alors son tour viendrait inévitablement. Alors elle profite, comme elle le peut.

  Du moins c'est ce qu'elle pense. Mais au fond, Rose est réellement mauvaise. Ce n'est pas juste de l'amusement, c'est du plaisir pur et dur, et elle ne peut s'en empêcher. Ne parlons même pas des drogues.

  La proposition de l'intrus vint la sortir de ses pensées. L'offre, sur le principe, semblait honnête. Ce n'était pas un chien, en effet. Il était carrément prêt à les payer. Etrange attitude. Pour ne s'était-il pas contenter de les payer ? Rose réfléchit et rangea son arme. Sans savoir vraiment pourquoi, elle avait confiance en cet homme. Du moins, dans le fait qu'il ne les tuerait pas. Elle regarda Eddie. Pas de réponse.

« Ca me paraît jouable, un bon butin pour le capitaine ! Si t'as un sachet, met les dedans et balance les nous, j'voudrais pas m'approcher de toi à moins de 2 mètres. Trop peur de me faire corrompre par le bien. » Elle ria sincèrement.

« Tu vas pas laisser cette enflure s'en tirer comme ça, Rose ? Te fous pas de ma gueule ! »

Elle fronça les sourcils.

« Eddie, pour le coup le bonhomme là, il sait vraiment se servir de son arme. J'ai pas envie de réitérer une erreur, tu piges ?
-Et l'amour propre, ça te dit rien ? »

Elle fit une grimace. Son amour propre, elle pense qu'il s'est enfui il y a pas mal de temps déjà.

« En tout cas, j'risquerais pas ma peau pour ça. Donc range ton flingue, on prend les capsules et on se tire d'ici, si l'autre nous fait pas un coup vicieux. » Elle ria intérieurement. Et s'il y avait une grenade à la place des capsules ? Quelle idée. Eddie secoua la tête. Quel spectacle ils offraient à l'intrus.
« Eddie, j'ai rangé mon arme. Si tu te foires on meurt tous les deux. » Elle semblait si sage parfois. Comme si la raison venait lui rendre visite de temps en temps pour lui montrer la réalité en face. Elle se pencha pour murmurer à son ami.
« On se le fera un autre jour, promis. Et d'une manière bien plus cruelle. »
Cela semblait convenir à Eddie, qui décida de ranger son revolver tout doucement.
« Va pour les capsules. »

Comanche était quelque peu tendu, il avait toujours en face de lui les deux énergumènes assoiffés de sang et de butin à qui il venait d’ôter leur proie, situation plutôt périlleuse mais il espérait s’en tirer en comptant sur l’appât du gain de ses interlocuteurs, car même si l’un d’entre eux avait le nez en vrac et qu’au final ils venaient de passer pour deux baltringues, avec une telle quantité de capsules offertes sur un plateau d’argent, ils n’avaient pas vraiment perdu leur journée. Et puis il valait mieux que leur rencontre se termine comme ça, avec un minimum d’effusion de sang ; oui il est vrai que ces capsules auraient pu être d’une autre utilité à Comanche, avec ça il aurait pu se payer quelques repas et des provisions pour ses voyages, mais si c’était le seul moyen pour ne pas tuer quelqu’un, eh bien soit ; de toutes façons il arriverait bien à se refaire un petit pécule assez rapidement, il y a toujours besoin de main-d’œuvre quelque part dans le Colorado.

Heureusement même les criminels avaient un peu de bon sens et la demoiselle semblait satisfaite de la proposition de notre ami, à la bonne heure ! Elle rangea son arme tout en admettant que c’était une solution acceptable pour elle, mais qu’elle ne s’approcherait toutefois pas de Comanche pour une sombre histoire de contagion. Tout en gardant son arme pointée vers nos deux lascars, notre bon samaritain fouilla dans les poches de sa veste à l’aide de sa main libre afin de saisir une pleine poignée de capsules ; poignée qu’il déposa au sol en faisant tomber les petits disques de métal un à un de sa main en les comptant jusqu’à finalement arriver au compte juste de vingt-cinq. Après quoi il fit quelques pas en arrière, juste assez pour laisser une distance confortable entre lui et le butin des deux bandits.

-Voilà, il y en a vingt-cinq, pas une de moins ; jvous laisse le temps de les ramasser, même de les compter si ça vous amuse, après ça vous partez de votre côté et moi j’attends que vous soyez bien loin pour faire de même, et ensuite on ne se revoit plus et tout le monde est content.

Voilà qui était dit ! Mais il semblerait que le comparse de notre calamity jane soit plutôt réticent à l’idée de laisser Comanche s’en tirer à si bon compte, et c’est après une petite discussion en aparté entre nos deux crapules que finalement le dénommé Eddie mit son flingue de côté, acceptant lui aussi les conditions de notre héros du jour.

A présent à bonne distance du petit tas de capsule, Comanche observa les deux comparses s’approcher du trésor et le compter rapidement avant de tout mettre dans leurs poches ; il n’avait pas mentit et il y avait bien là vingt-cinq capsules sonnantes et trébuchantes, de quoi s’acheter de la bouffe et de d’alcool pour plusieurs jours, voire même des munitions ; ce qu’ils feraient avec ça ne l’intéressait absolument pas, le plus urgent pour le moment était qu’ils s’en aillent afin qu’il puisse rattraper le pauvre type à qui il avait sauvé la peau quelques instants plus tôt afin de le conduire dans la ville la plus proche pour qu’il se fasse soigner ; car même s’il était tiré des griffes de ces deux voyous, sa vie allait s’achever plus rapidement que prévu si on ne l’aidait pas, vu qu’il perdait quand même assez bien de sang et que mine de rien l’endroit était plutôt du genre inhospitalier.

Esquissant un léger sourire navré à l’attention du type au nez fracassé, Comanche ne put s’empêcher de compatir un peu pour lui.

-Navré pour ton nez amigo, mais c’était ça ou une balle dans le buffet, avec le recul tu te diras qu’il vaut mieux un nez cassé plutôt qu’un poumon troué.

Il était toujours attentif aux moindres mouvements des deux loustics, s’attendant presque à un geste malheureux de leur part bien qu’il ne souhaitait pas du tout que cela arrive.

-Maintenant que vous avez vos capsules , je vous invite à y aller… Ciao et à jamais.

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