~ Betsy, y a Aaron qui dit que j'ai pas de parents.

L'air renfrogné de Raven était devenu une habitude depuis son plus jeune age. Aujourd'hui, à 10ans, Betsy ne considérait plus cette gamine aux yeux bridés comme une enfant. Se débarrasser d'un mari violent et perdre son fils, ça vous change une femme. Les habitants de Jericho se complaisaient dans l'idée qu'elle était à moitié folle mais elle, se trouvait plus lucide que n'importe lequel d'entre eux. Tout ces merdeux qui n'avaient pas levé le moindre petit doigt quand son mari essayait de les battre, elle et son enfant, avaient protesté dès qu'elle était apparue en ville avec un bébé... Et un fusil. Personne ne dit à Betsy ce qu'elle doit faire. Elle fit une moue.

~ Aaron a raison. T'as pas de parents. Sont morts.

Elle empila des pièces détachées avant de commencer à les trier. Fabriquer et réparer étaient devenus sa petite lubie en plus de cultiver un petit potager. Son mari infirme lui avait apprit quelques techniques pour s'occuper d'objets d'avant-guerre récalcitrants et de divers armes et matériaux... Quand il ne lui criait carrément pas dessus. La veille que Rever était parti, elle se souvenait bien de cette soirée. Le mari, saoul comme un brahmine, avait immobilisé son fils sur le sol et lui frappait la tête sur le sol. Betsy avait attrapé la première chose qui lui passait sous la main et balaya son mari d'un coup de chaise. Le garçon partit le lendemain et ne revint plus... Et Betsy tua Aldo quelques jours après ça. Un coup de fusil dans la tête alors que celui-ci rigolait, toujours aussi saoul. Est-ce qu'elle avait été inquiétée par quiconque ? Pas vraiment. La disparition d'Aldo était un soulagement pour tout le monde et la misère de sa vie, abandonnée par tous les membres de sa famille, sembla être une punition assez lourde pour le reste de la ville.

~ Morts ? Comment ?

Elle haussa les épaules.

~ Je sais pas. Certainement tués par des animaux. Va apporter ça à Bob, tout de suite.

L'enfant ne broncha pas. Surtout parce qu'on ne bronchait pas devant Betsy. Si si, elle avait revu son fils. Mais elle ne l'avait presque pas reconnu. Il s'était pointé, un soir, par la porte de derrière, avec une femme avec lui. La vieille femme avait ouvert avec un fusil pointé sur les visiteurs et ce ne fut que lorsque Rever lui cria dessus qu'elle reconnu sa voix. Aux vues de leurs allures, Betsy n'eut aucun doute qu'ils avaient fait partit d'un de ces groupes de fous furieux qui attaquaient tout le monde. « T'as tué quelqu'un ? » sa voix grinçante resta en suspend. Le silence était une réponse beaucoup plus puissante que n'importe quel mot. Elle arma le fusil alors que Rever levait les mains. « Mman attend ! On a vraiment besoin d'aide, attend ! » « Rien à battre, dégage tu vas m'attirer des enn- » Et soudain, un cris. Un cris de bébé venant du giron de la femme aux cheveux noirs. Elle stoppa net et ouvrit de grands yeux. Bizarrement, elle n'aurait jamais cru que son fils aurait pu faire une chose aussi stupide. Il lui sourit et invita sa compagne à découvrir le petit amas de chair gazouillant qui réclamait à manger. « C'est une fille. » Betsy ne se souvenait plus de la dernière fois qu'elle avait vu son fils sourire. Elle s'approcha et Rever l'invita à prendre sa petite fille. Magnifique, mais dangereuse, comme ses parents. « Tu le sais, que vous pouvez pas rester là, Rever... » Il hocha la tête, toujours un sourire béat aux lèvres. Il le savait. Mais il était venu quand même. Les espoirs fous de deux tourtereaux enfin libres... « Gardez la. » La femme aux cheveux noirs avait un regard perçant et décidé. Rever la considéra avec de grands yeux. « On va mourir, gardez-la. » Betsy échangea un long regard avec ce qui devait être sa belle-fille et elle fit demi-tour. La main d'acier de son fils se posa sur son épaule « Non non non ! On la garde. » L'affolement résonnait dans sa voix et il semblait sur le point de pleurer. Lexus n'était même pas sûre qu'il ai un jour pleuré. « Rever, on va pas vite avec elle. Elle sera mieux ici. » L'homme relâcha la prise sur sa mère et dévisagea sa femme. « Non non, on ne lui a même pas trouvé un prénom. C'est pas ça qu'il faut faire quand on a un gosse ? Non, encore un peu. On peut... On peut... » il résonnait presque comme son ivrogne de père. « Raven. Appelez-la Raven et partez. ». Autorisant une dernière étreinte aux parents, elle emporta l'enfant dans la maison et regarda s'éloigner le couple épuisé. Inconsciemment, son cerveau lui dit que demain, ils seraient possiblement déjà morts.

Ses yeux et ses cheveux étaient de lui. Son visage, d'elle. Et ce mélange incongru était douloureux pour Betsy. Il fallait que cette gamine soit forte et solide. Tout de suite. Elle allait en avoir des emmerdes si elle était comme son père. Et pas que des petites. Si seulement elle pouvait vite partir, dégager, loin, loin, qu'elle ne la revoit plus et qu'elle ne s'inquiète plus... Car malgré le mauvais caractère de Betsy, malgré l'inconfort apparent qu'elle ressentait pour Raven, elle l'aimait bien cette gamine.



~ Fais la taire Lexus !
~ Elle a faim.

Rever tourna la tête vers sa femme. Malgré la boue et la poussière qui la recouvraientt presque entièrement, son visage lui semblait toujours aussi lumineux. Mais la petite boule rose dans ses bras qui commençait à pleurer et à pousser des cris grinçants vacillait souvent entre la chose la plus belle qu'il ai jamais vu et la chose la plus dangereuse qu'il n'ai jamais fais. Incontrôlable, bruyante et inconsciente... Un peu ce qu'ils avaient tous les deux été pendant des années et des années. La simple idée que quelqu'un puisse lui faire du mal, à elle ou à Lexus lui était insupportable et une boule se formait dans son ventre à chaque fois qu'il y pensait. Une sensation nouvelle qui s'était développée ces dernières années. A ses vingt ans pourtant, jamais il n'aurait eu peur de mourir ou que la femme qui partageait sa couche disparaisse du jour au lendemain. Mais les choses avaient changées depuis qu'il avait sentit l'odeur de Lexus. Rien que son odeur. C'était ce moment précis qu'il avait commencé à réellement ressentir autre chose que l'excitation du gain et du sang. La volonté d'avoir un lendemain et d'en faire quelque chose.

Ce quelque chose, pourtant, faisait bien trop de bruit. Le groupe qui les pistait avait gagné une journée. En trois jours ils arriveraient à les trouver si les animaux ne les mangeaient pas avant. La grotte qu'ils avaient trouvé ce soir là était plus un renfoncement dans de la roche sableuse qu'une véritable grotte. Le sol était inconfortable et ils avaient oublié d'emporter plusieurs couvertures dans leurs bardas. Des armes, des bouteilles d'eau et de la nourriture en priorité et la seule couverture servait à protéger l'enfant sans nom du sable, du vent, de la chaleur et du froid. Tout ça, ses parents devaient le subir sans aucun confort. Non pas qu'ils aient souvent vécu dans un quelconque palace ces dernières années, mais sur le qui-vive, ne dormant que d'un seul œil, le matin ils avaient l'impression de se relever d'un tapis à clou.

~ Lexus...
~ Hm ?
~ Je crois que je t'aime.

Le bébé tétait dans un bruit de succion et la femme asiatique qui portait sur son visage quelques cicatrices de ses précédentes batailles releva la tête. Elle observa un instant Rever avant de baisser les yeux vers sa fille.

~ Je pense aussi que je t'aime.

Aucun des deux n'était vraiment sûr après tout. Rever pensait se souvenir de ce que ça faisait d'aimer. Sa mère, Betsy habitait à Jericho, elle y vivait certainement encore. Il avait connu les bons repas fumant fais à partir de rien du tout, les contes qu'elle racontait le soir, son père qui travaillait en tant que fouineur, retournant les ruines les unes après les autres avait finit par tout se faire voler... Il s'était aussi fait couper le bras. Cette période était floue dans sa tête. A ses treize ans, la furie de son père amer l'avait fait fuir au loin. Ensuite, tout c'était tassé dans sa tête. Ce qu'il avait mit des années à construire semblaient s'être passé en quelques minutes. Des rencontres surtout, du sang et des cris. Jusqu'à trouver un semblant de calme dans un groupe de raiders. Semblant. Car la paix, il l'avait trouvé auprès de Lexus. Son air sérieux et froid en toute circonstance l'avait apaisé. Même durant des attaques ou des massacres, son visage figé et ses yeux bridés... Ses yeux le hantaient. Encore il y a quelques temps il n'aurait su différencier la peur ou l'amour.



Un simple feu de camp éclairait la soirée de la caravane. Au sein de l'ERGP, ils s'étaient trouvés un coin, derrière un bâtiment en brique dont la silhouette faisait penser à une carcasse en fer. Les flammes étaient un luxe dans un monde où quand on sortait hors de frontières rassurantes, le moindre bruit et la moindre lumière pouvait être le prélude de votre mort. Mais ce soir, pas de couche sur le sol plein de cailloux, pas de couvertures qui grattaient pour protéger du froid mordant. Cette nuit, pas de tour de garde même si personne n'arriverait à dormir des deux yeux. Leopold nettoyait son vieux fusil à pompe qui s'encombrait souvent de sable. Il chantonnait une mélodie de sa voix grave et caverneuse. Telle une berceuse, chacun semblait écouter en s’occupant de ses propres affaires.

Raven, elle, faisait un léger inventaire de la caisse de munition qu'ils avaient. Non pas pour leurs armes, chacun s'occupait de ses munitions comme il lui plaisait, mais les munitions à vendre. Ils en récoltaient de toute sorte et en nombre divers. Ainsi, ils n'avaient que très rarement des chargeurs entiers mais personne ne faisait la fine bouche quand il s'agissait de sa protection. Deux balles valaient mieux qu'une. C'était ce qu'elle disait quand elle se retrouvait avec un nombre très bas de munitions demandées. Il était difficile de trouver des équivalents pour du troc si on n'était pas au courant des prix de la concurrence ou de la demande pour ce produit particulier. Pour cette raison, la jeune femme gardait des notes dans un carnet, leurs chiffres, à quel moment, les informations qu'elle avait sur les prix que pratiquaient les autres marchands... Des chiffres, des petits dessins, des plus, des moins... Tout un système qu'elle entretenait. Peu de gens qu'elle connaissait savaient vraiment lire alors elle avait tout codé, au cas ou. Cette tournée, ils avaient vraiment peu de munitions, ils n'en avaient pas vraiment trouvé auprès de leurs fournisseurs habituels et les attaques de raiders avaient légèrement augmenté alors les différents groupes qu'ils visitaient étaient plus enclins à garder leurs balles qu'à obtenir un peu d'eau décontaminée ou de la nourriture un peu plus mangeable de ce qu'ils pouvaient trouver eux même.

~ Hey Nen... Passe moi la boite là...

Elle envoya les outils à Leopold qui la remercia d'un sourire ponctué de quelques dents manquantes. Elle hocha la tête et termina vite fait un calcul qui confirmait son précédent résultat.

~ J'ai entendu dire que y avait eu des attaques près de notre itinéraire de demain.

Dit, l'air de rien, le vieux roublard en démontant son pistolet. Quelques têtes se levèrent, intriguées, mais Raven ne flancha pas. Quelqu'un demanda un discret :

~ Qui ?

Et le barbu considéra un instant le curieux avant de souffler :

~ Chiens pendus d'après ce que je sais.

Et voilà, Leopold venait de ruiner la soirée de tout le monde par la simple perspective de devoir faire profil bas ou de faire face à une attaque. Ils étaient armés bien entendus, mais ils courraient toujours le risque de se faire encercler par un groupe plus grand que ce qu'ils avaient déjà eu à affronter. La plus part du temps, ils prenaient des chemins détournés et profitaient du fait qu'ils n'étaient pas un très grand groupe pour passer inaperçu.

~ Tu proposes quoi, Leopold ?

Il referma son fusil dans un bruit mécanique qui fit sursauter quelques personnes.

~ On fait un détour par le Nord. Les montagnes sont plus fatigantes mais on passera plus inaperçu. Je dois avoir une vieille carte de la zone dans mon barda.

Cette nuit là resta dans son souvenir comme une des plus froides, comme si son corps anticipait le danger et la mort.